Après des années glorieuses, la station de radio-télévision de Aïn Chock vit aujourd’hui dans l’ombre de sa maison mère à Rabat. Visite d’un musée à ciel ouvert où les studios continuent à tourner à plein régime.
Nichée sur le boulevard Amgala, à Casablanca, la station de Aïn Chock est reconnaissable à ses antennes gigantesques et son bâtiment monumental. Construit au début des années 1950 pour accueillir une chaîne de télévision qui n’a finalement jamais vu le jour, le lieu est depuis dédié à la production de séries télévisées. Loin de l’image des télévisions modernes, l’intérieur de la bâtisse est typique de l’architecture des années 1950 : hall gigantesque, couloirs labyrinthiques et bureaux aux plafonds très hauts. Sur les murs, des portraits d’artistes qui sont passés par là : Abdelhalim Hafez, Ahmed El Bidaoui ou encore Naïma Samih… Autant de vestiges d’une époque révolue, celle d’un Maroc où il n’existait qu’une seule chaîne, du noir et blanc et des activités royales diffusées en boucle. Aujourd’hui étalée sur 9 hectares recouverts de nombreux bâtiments et studios, la station de Aïn Chock continue à tourner à plein régime.
Au cœur de l’info
Le bureau du secrétariat de la station est le lieu de passage obligé du personnel. Tous les matins, les thèmes des reportages réalisés par les onze journalistes de la station sont consignés manuellement dans des registres. Il est 10 h, une partie du staff est sur le terrain tandis que les autres peaufinent le montage de leurs sujets avant de les envoyer à Rabat. “Nous fournissons 30 à 40 % de la matière pour le JT d’Al Aoula. Nous couvrons la région de Casablanca et le centre du Maroc, qui sont très riches en actualité”, précise Abdelmajid Mochfiq, rédacteur en chef régional du JT. Il se propose de nous faire le tour du propriétaire. D’apparence désuète et minimaliste, les locaux sont malgré tout équipés des technologies dernier cri, même si l’espace a besoin d’être réorganisé pour répondre aux exigences de la télévision moderne. La froideur des lieux contraste avec l’atmosphère familiale. Ici, tout le monde fête en grande pompe les départs à la retraite, les promotions, les naissances et les diplômes des enfants. “Nous exerçons un métier très difficile et il est fondamental de cultiver cette ambiance, nécessaire à la cohésion de l’équipe”, lance le directeur de la station, Ahmed Aklikim, un brin paternaliste.
D’hier à aujourd’hui
Il suffit de se balader de bâtiment en bâtiment pour comprendre le passé glorieux du lieu. En témoigne encore le studio 400, l’un des plus grands d’Afrique au début des années 1960. C’est là qu’étaient tournées et diffusées en direct des émissions de variétés réunissant les artistes les plus réputés du monde arabe. C’est là aussi que Driss Kalimi officiait dans l’émission Ammi Driss, pour le plus grand bonheur de plusieurs générations d’enfants marocains. Aujourd’hui, ce studio mythique continue à abriter certains grands shows comme l’émission Comedia. Par ailleurs, plusieurs productions des chaînes Arrabia, Assadissa et Al Amazighia sont tournées sur les six autres plateaux que compte la station. Un studio est également dédié à l’enregistrement d’émissions culinaires. Pour varier la production, la station de Aïn Chock s’est dotée de quatre hangars où sont tournées des sitcoms comme Dar al Warata. Mais pour découvrir l’autre joyau des lieux, il faut descendre au sous-sol, qui servait autrefois de débarras et qui accueille désormais le décor de la série La brigade, réalisée par Adil El Fadili. Un commissariat plus vrai que nature a été reconstruit ici : cellules, salle d’interrogatoire, bureaux des détectives… “Le calme et la luminosité des lieux permettent à l’équipe de tournage de travailler dans les meilleures conditions, sans subir les contraintes du tournage à l’extérieur”, nous confie la responsable du plateau, avant de nous prier de ne pas prendre de photos puisque les nouveaux épisodes n’ont pas encore été diffusés. Pour la petite histoire, c’est à Aïn Chock que le père du réalisateur, Aziz El Fadili, enregistrait le bulletin météo dans un style humoristique. Une révolution à l’époque.
Dar El Beïda on air A travers la végétation dense qui entoure le bâtiment principal, on peut distinguer les locaux de Radio Dar El Beïda. Première surprise agréable, on y trouve un local qui fait office de musée. Tables de mixage, micros, bandes magnétiques, photos… tout un pan de l’histoire de la radio marocaine est ici exposé. Dans les couloirs, on peut voir les photos des fondateurs de la radio, comme Anouar Hakim ou Assiya Chraïbi, plus connue sous le nom de Sayida Zaineb, ainsi que les pionniers des feuilletons radiophoniques comiques comme Bouchaïb Al Bidaoui et Lkadmiri. Tout au fond, on arrive à la “banque” de la radio. Une chambre non conditionnée où sont entassées sur des rayonnages toutes les archives de la station. Des milliers de petites bobines qui contiennent les enregistrements les plus rares de chansons, films radiophoniques, discours officiels ou simples bruitages de l’époque. Avec les années, les bandes, fragilisées par l’absence de conditionnement, menacent de disparaître. Quand on connaît le traitement réservé aux archives au Maroc, le directeur de la radio, Al Madani Darouz, ne peut compter que sur le système D et met tout le personnel à contribution pour sauver ce qui peut l’être encore. L’idée consiste à manipuler délicatement ces bandes et à enregistrer leur contenu sur des CD avant de les numériser. “C’est la mémoire de la radio marocaine. L’équipe est en train de déterrer des centaines de chansons et d’émissions radiophoniques majeures dont il n’existe plus aucune copie ailleurs”, se réjouit Al Madani Darouz. Malgré le manque de moyens, le personnel de la station de Aïn Chock continue à rêver de lendemains meilleurs et espère en faire une chaîne régionale complètement autonome. |