Situé sur la route de l’aéroport d’Abou Dhabi, le luxueux complexe Zayed Sport City accueille en ce soir du 13 juin la finale du tournoi de football organisé par la communauté marocaine des Emirats arabes unis. Il est 19 h et le mercure affiche 32 degrés, une température clémente dans cette fournaise du Moyen-Orient où la chaleur peut atteindre 50 degrés en milieu de journée. Plus de 100 personnes ont fait le déplacement pour assister au match qui va opposer l’équipe des Aigles à celle d’Al Khazna d’Abou Dhabi. Cette dernière porte les couleurs de l’un des quartiers les plus anciens de la ville où des Marocains « touarga » sont venus s’installer au début des années 1980. En vertu d’un accord conclu à l’époque entre Cheikh Zayed Bin Sultan et Hassan II, ces Marocains ont acquis la nationalité émiratie. Certains ont même accédé à de hautes fonctions comme juges ou commis de l’Etat. Un grand drapeau marocain flotte au milieu des gradins et un groupe de jeunes joue la Dakka Marrakchia pour égayer l’ambiance. A la fin de la rencontre, joueurs et supporters communient ensemble et se félicitent du succès de l’événement, sous le regard de Mohamed Aït Ouali, ambassadeur du royaume aux Emirats. Malgré le climat caniculaire de ce petit pays du Moyen-Orient, des milliers de Marocains s’y installent chaque année à la recherche d’un avenir meilleur.
Un mirage par 50 degrés
Sur le chemin de retour vers Dubaï, l’autoroute à six voies qui traverse le désert est une vitrine du luxe qui s’affiche sans complexe. Les grosses cylindrées et les 4×4 se comptent par milliers. Nous accompagnons Yassine, 32 ans, au volant de son GMC 3 litres. Originaire de Casablanca, Yassine s’est installé à Dubaï en 2009. Diplômé d’une haute école de management, il a travaillé quelques années dans une banque marocaine avant de décrocher un contrat dans une banque dubaïote. Il a rapidement gravi les échelons jusqu’à finir gestionnaire de portefeuilles pour le compte de clients fortunés. « Ici, le travail et le sérieux payent. Quant à la réussite, elle dépend de vos ambitions », nous lance-t-il fièrement. Comme lui, Othman, 37 ans, nous livre les clés de la réussite à Dubaï. « Il faut respecter la législation du pays et travailler dur. J’ai été formé par un chef italien et aujourd’hui je dirige les cuisines d’un hôtel de luxe, hamdoulillah », raconte-t-il avec un accent du sud du Maroc. Diplômé d’une école de tourisme et après quelques années d’expérience dans plusieurs hôtels marocains, ce Gadiri a décroché un contrat à Dubaï en 2005. « Quand j’ai débarqué ici, je gagnais l’équivalent de 6000 dirhams. En quelques années, j’ai multiplié mon salaire par sept. Je n’ai pas à me plaindre », se réjouit-il.
Chacun sa route
Quand on arrive au cœur de Dubaï, nous devons traverser une forêt de gratte-ciel. Ici, le gigantisme et le luxe sont la marque de fabrique de la ville-Etat. Nous rejoignons Simo, 36 ans, et son épouse Dounia, 27 ans, au café de l’enseigne italienne Emporio Armani, situé au cœur du Dubaï Mall. Originaire du quartier Aïn Chock à Casablanca, Simo a travaillé pendant six ans à l’aéroport Mohammed V en tant que bagagiste avant d’oser l’aventure du Golfe en 2011. « Je suis venu ici en tant que touriste et j’ai décroché un contrat de serveur dans le restaurant d’une académie de police. J’ai dû rentrer au Maroc pour obtenir un visa de travail », évoque Simo. Quant à Dounia, 27 ans, titulaire d’une licence en économie, elle gère un magasin de l’enseigne Ralph Lauren. « J’avais des appréhensions quand Simo m’a proposé de le rejoindre ici après notre mariage en 2012. Honnêtement, je suis épanouie dans cette société où la femme jouit du respect total au travail et dans la rue », affirme-t-elle. A les entendre, on pourrait penser qu’ils vivent un conte de fées. Mais la réalité est souvent tout autre pour des milliers de Marocains qui gagnent des salaires compris entre 5000 et 12 000 dirhams, sachant que la location d’un appartement coûte en moyenne 15 000 dirhams. Afin de pouvoir mettre de l’argent de côté, ils habitent dans des chambres qu’ils partagent avec d’autres travailleurs étrangers. Pour renouveler leurs contrats de travail qui ne dépassent pas deux ans, ils sont amenés à quitter le pays et effectuer les procédures de retour à l’étranger. De peur de revenir au pays, la plupart se rabattent sur l’île de Kish, située dans les eaux territoriales iraniennes, afin de régulariser leur situation. Mais ce qui devrait être une simple formalité peut tourner au cauchemar.
Piège en eaux turquoise
Depuis quelques années, plus de 2000 Marocains sont prisonniers de l’île touristique de Kish et se trouvent dans l’impossibilité de la quitter tant qu’ils n’ont pas renouvelé leur contrat de travail pour retourner aux Emirats. « La majorité est composée de femmes victimes d’escrocs qui leur ont vendu un visa de travail, mais quand elles sont arrivées aux Emirats, elles se sont rendu compte qu’il s’agissait d’un visa de touriste qui ne leur donnait pas le droit de travailler. Ces escrocs leur font payer jusqu’à 60 000 dirhams pour un simple visa qui n’en coûte normalement pas plus de 1600 », nous explique Youssef Abbaoui, cadre d’une société de décoration d’intérieur, qui s’occupe bénévolement des affaires de la communauté marocaine. Derrière cette escroquerie, il existe des réseaux bien organisés, composés de Marocains et d’Egyptiens qui disposent de leurs rabatteurs dans le royaume. Résultat, chaque jour des avions remplis de Marocains décollent en direction de l’île de Kish. « Le gouvernement indien a mis en place un organisme étatique chargé de contrôler la validité des démarches de leurs citoyens désirant se rendre aux Emirats et leur éviter ces mésaventures. Pourquoi ne pas faire de même au Maroc ? », s’interroge Youssef Abbaoui. Pour ne rien arranger, la rupture des relations diplomatiques entre le royaume et l’Iran en 2009 a contribué au blocage de la situation de ces migrants. « Je suis resté deux mois à Kish avant de rentrer aux Emirats avec un nouveau contrat de travail. Je logeais dans un hôtel tenu par une Marocaine. Nos compatriotes finissent généralement comme guides touristiques quand ils ne vivent pas de petits larcins ou de mendicité. Les femmes tombent souvent dans le piège de la prostitution. Les Marocains de l’île de Kish vivent un drame passé sous silence au Maroc », nous confie Simo.
Tolérance zéro
Pour vivre dans un pays de 8 millions d’habitants, qui compte 200 nationalités et où les autochtones représentent moins de 10% de la population, il faut composer avec une législation stricte et très répressive en matière d’infractions et de délits. A Dubaï seulement, on ne compte pas moins d’un million de caméras de surveillance et une police redoutable qui patrouille inlassablement en BMW. Cracher dans la rue ou traverser la chaussée hors du passage piéton peut vous coûter une amende de 300 dirhams. « Nous vivons avec un sentiment de totale sécurité. Ici, la police protège et sert le citoyen. Ça vous apprend le civisme et le respect de la loi », estime Yassine. Ceux qui se rendent coupables d’atteinte à l’ordre public, de mendicité ou de travail clandestin sont expulsés manu militari du pays. L’autre obsession des autorités émiraties est d’endiguer le wahhabisme, qui ne fait pas bon ménage avec les affaires. A l’instar du Maroc, les Emirats interdisent l’accès aux mosquées en dehors des heures des prières et, depuis 2011, la majorité des imams qui officient dans les nombreuses mosquées sont marocains. « Notre perception modérée de la religion est la bienvenue dans une région en proie au fondamentalisme religieux. Sans oublier que c’est une occasion pour ces imams d’améliorer leurs conditions de vie », explique Youssef Abbaoui. Dans un Moyen-Orient secoué chaque jour par d’interminables violences, les Emirats ont déjà un pied dans l’après-pétrole et marchent vers une forme de modernité hybride, qui compose avec le conservatisme des sociétés orientales.
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