L’heure est venue pour Abou Bakr Al Baghdadi de proclamer un califat sur le vaste territoire qu’il contrôle désormais de part et d’autre de la frontière irako-syrienne. Cette annonce survient au premier jour du mois de ramadan, comme si le chef jihadiste irakien souhaitait appuyer encore la référence à la tradition islamique. La Dawla, comme ses partisans préfèrent l’appeler, rompt avec les nationalismes étriqués et l’histoire postcoloniale.
La référence au califat, une sorte de Graal auquel aspirent d’ailleurs toutes les sensibilités de l’islam politique, se retrouve jusque dans le choix de Raqqa (en Syrie) comme capitale, comme du temps du grand Haroun Al Rachid. Et le califat reste inscrit au programme des Frères musulmans : avant la chute de la branche égyptienne, les Tunisiens d’Ennahda – par la voix de leur chef séculier Hammadi Jebali – ne s’en cachaient d’ailleurs pas dans les déclarations qui ont suivi leur triomphe électoral de 2011.
Un émir sanguinaire
Al Baghdadi, lui, ne se gargarise pas de mots vains. Cet émir sanguinaire, formé, dès 1999, à l’école d’Abou Moussab Al Zarqawi, alors chef de Jamaât Attawhid wal Jihad, affirme son désir de dépasser en force et en ambition le commandement central d’Al Qaïda. De son vrai nom, Ibrahim Al Badri, il revendique une généalogie prestigieuse, que viendraient souligner les patronymes successifs et un tantinet pompeux de Houssaini Hachimi Quraïchi. Une triple référence à une filiation chérifienne, qui renforcerait son pedigree de calife. Pour revendiquer l’héritage des premiers successeurs du prophète, les « Khûlafa rachidûn », quoi de mieux en effet que d’avancer des origines mecquoises, et même du clan des Banu Hâchim, celui de Mohammed, prophète de l’islam. L’actualité fantasme donc une projection sur le temps des « salaf », les pieux ancêtres.
L’attrait du califat
Plus près de nous, les combattants de l’EIIL réécrivent la carte du Moyen-Orient. Il est souvent fait référence à l’abolition des frontières, avec force images de destruction de check-points et de bulldozers effaçant la ligne de démarcation entre la Syrie et l’Irak.
Dans les discours et les vidéos, dont les jihadistes sont friands, il est souvent question de gommer les effets de l’accord Sykes-Picot. En 1916, cette entente secrète entre émissaires français et britanniques dessinait la carte des zones d’influence des deux puissances impériales au moment du démantèlement de l’Empire ottoman.
En 1924, le père de la Turquie moderne, Mustafa Kemal, abolissait le califat. Pour certains commentateurs, il ne faudrait pas donner d’importance à la proclamation du califat, faute de quoi on souscrirait à une idéologie basée sur une histoire partielle et partiale de l’islam. Le problème de cette lecture est de nier l’attrait réel du califat, dans une partie de l’opinion arabe et musulmane, sans parler des populations sunnites irakiennes et syriennes, avides de revanche contre leurs oppresseurs, respectivement, safavides (chiites) et nusayri (alaouites). Nul ne peut prédire la résistance de cette rébellion jihadiste face aux bruits de bottes de leurs adversaires. Face à la menace commune de l’EIIL, Américains, Saoudiens et Iraniens ne défendent certes pas les mêmes intérêts, mais dans l’immédiat, Al Baghdadi, « prince des croyants », réclame l’allégeance de tous les musulmans et ringardise Ayman Al Zawahiri, successeur d’Oussama Ben Laden, à la tête d’Al Qaïda…
rien ne prouve que le « film » soit authentique!