Le Maroc se rêve en pivot d'une grande union atlantique

A Marrakech, et pour la 3e année consécutive, le think tank OCP Policy Center a invité pas moins de 350 « leaders » du public et du privé, venus de 60 pays du bassin atlantique, dont le Maroc aimerait être le centre névralgique. Telquel.ma y était.

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Youssef Amrani
Youssef Amrani, à gauche, lors de la table ronde sur les convergences, coopérations et partenariats s'offrant à l'espace atlantique. Crédit : Atlantic Dialogues

Africain, méditerranéen, (plus ou moins) arabe, presque européen… et même atlantique. Le Maroc joue sur tous les tableaux. Voilà trois années consécutives que l’OCP Policy Center, think tank porté à bout de bras comme son nom l’indique par l’Office chérifien des Phosphates, première des entreprises publiques du pays, co-organise les Atlantic Dialogues, avec le think tank américain The German Marshall Fund (GMF).

Un mariage transatlantique que l’OCP Policy Center brandit volontiers pour faire du Maroc le nœud géopolitique incontournable au carrefour de ces différentes régions du monde, à l’image d’Amine Mounir Alaoui, vice-président de la Fondation OCP, qui a déclaré à la presse en ouverture de l’événement vendredi 24 octobre au Palais des congrès de la Palmeraie de Marrakech que les Atlantic Dialogues étaient « le seule cadre de conférence pan-atlantique », disant toute sa fierté de le voir organisé au Maroc, « porte de l’Afrique, de l’Europe, du monde arabe, de la Méditerranée et de l’Atlantique ».

Atlantisme post-guerre froide

Un message que les invités parfois prestigieux de l’événement répètent à l’envi aux médias, à l’image d’Ana Palacio, ancienne ministre espagnole des Affaires étrangères, pour qui « le Maroc a réussi à devenir une plaque tournante du bassin atlantique ».

Au-delà du seul OCP Policy Center, c’est bien l’État marocain, à son plus haut niveau, qui lorgne vers le voisinage atlantique. Youssef Amrani, chargé de mission au cabinet royal (et ancien ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères), est venu le suggérer en participant à la première table ronde, au cours de laquelle il a rappelé les propositions du Maroc lors d’un précédent sommet de l’Otan visant précisément à donner plus d’importance à l’Atlantique sud. « Cette région devrait être priorisée », a-t-il même plaidé, évoquant les enjeux tels qu’ « Al Qaïda, le terrorisme, les moujahidin… », face auxquels « nous avons besoin d’une réponse cohérente ». Louant le président américain Barack Obama pour avoir rassemblé les dirigeants des pays africains du 4 au 6 août dernier, Youssef Amrani a assuré que l’Afrique était une priorité pour tous les continents, notamment pour les Amériques.
Miguel Angel Moratinos, ancien ministre espagnol des Affaires étrangères, a abondé en son sens en rappelant que Hassan II, en son temps, avait déjà regretté que l’Otan ne fût trop focalisé sur le Nord. « C’était un autre contexte », a-t-il expliqué.

En reliant l’Atlantique Nord et le Sud, le Maroc rêve de devenir le pivot d’un grand ensemble géopolitique intercontinental. De son côté, GMF y voit l’occasion rêvée de retrouver une raison d’être, depuis que la fin de la guerre froide a ringardisé les efforts de rapprochement entre les continents américains et européens.

Dans les coulisses

L’OCP est déjà connu depuis plusieurs années pour remplir des missions bien extérieures à son cœur d’activité, en application directe de consignes venues du plus haut niveau de l’État, ce qui n’est pas pour rien dans le choix du roi Mohammed VI de le citer en exemple.

Cette fois, l’Office, par le biais de son think tank, joue une carte géopolitique qui correspond aussi aux intérêts stratégiques de l’État marocain. « Il n’y a aucun grand plan », nous assure toutefois Karim El Aynaoui, directeur général de l’OCP Policy Center, pour qui les problématiques d’une grande entreprise internationalisée et celle d’un pays « peuvent se rejoindre ».

Mais qu’y-a-t-il derrière ce partenariat transatlantique en construction ? Les éléments de langage de la communication officielle de l’événement sont pour le moins vagues, louant le « dialogue », « l’échange », et « la réponse concertée aux défis communs » (tels que les migrations, la sécurité, le financement du développement) en tissant des liens entre le Nord et le Sud, avec une nette priorité accordée aux enjeux africains.
Si l’objectif annoncé des Atlantic Dialogues sur leur site web est de « créer un climat unique propice aux échanges intellectuels et au réseautage », rares sont les participants à s’en cacher : le plus important, ce ne sont pas les conférences elles-même, où, en une demi-heure, des questions majeures comme la lutte contre Ebola, la démocratie en Afrique ou les migrations et le développement sont expédiées par une poignée d’intervenants dans un consensus fait de vagues généralités.

C’est dans les couloirs, à l’occasion des coffee breaks, déjeuners et dîners que se tissent les rencontres stratégiques. Et sans grande surprise, en termes de dialogue, c’est surtout pour parler affaires qu’on vient prendre langue aux Atlantic Dialogues.

La Banque mondiale en prospection

Une importante délégation de la Banque mondiale était présente. Bertrand Badré notamment, directeur général et financier du groupe Banque mondiale, a fait le déplacement à Marrakech, coïncidant avec une visite officielle auprès du gouvernement marocain. A Marrakech, où il s’est fait présenter de nombreux hommes d’affaires marocains, le représentant de la Banque mondiale refuse de dissocier les discussions d’ordre macro-économiques et la prospection d’opportunités d’affaires : « On l’ignore trop souvent, mais la Banque mondiale a une capacité d’action publique et une capacité d’action privée ; avec la Société financière internationale, la Banque mondiale a un portefeuille d’actions de 15 milliards de dollars dans plus d’une centaine de sociétés partout dans le monde », ajoutant que le rôle de la BM dans les débats autour des politiques publiques et son rôle d’investisseur sont complémentaires : « Il y a souvent un effet de signal adressé aux autres investisseurs, quand une institution comme la Banque mondiale décide de prendre un ticket au capital dans telle ou telle entreprise, en soutien à un projet », explique-t-il.

Simon Gray, économiste de la Banque mondiale et directeur du département Maghreb, le confie bien volontiers : les discussions des décideurs conviés aux Atlantic Dialogues tournent autour du financement des projets dans les pays émergents. Il considère que depuis 2008 et la crise née de l’éclatement de la bulle immobilière, « ce ne sont pas les banques qui financeront ces projets », pourtant « il faut mettre en relation les investisseurs dont l’argent dort par exemple aux États-Unis, et les porteurs de projet au Maroc. »

Joumana Cobein, responsable du bureau de la Société financière internationale pour le Maghreb, en est convaincue : « C’est aux fonds d’investissement de prendre la relève des banques, notamment pour le financement des projets d’infrastructure, qui nécessitent un engagement de long terme. »

Karim El Aynaoui ne dit pas autre chose : « L’écart moyen entre le PIB des pays émergents et les pays les plus avancés de cet espace est de 7 à 8 fois. Vous imaginez le potentiel de croissance ! ». De quoi faire des Atlantic Dialogues des « incubateurs d’opportunités économiques » selon le directeur de l’OCP Policy Center, qui assume pleinement la dimension économique de l’événement.

Recyclage public-privé

Les participants invités sont issus d’un mélange d’« international affairs » (beaucoup de diplomates et représentants d’organisations internationales), « policy sector » (ensemble comprenant à la fois des hommes politiques et des universitaires), et de « private sector », parmi lesquels plusieurs professionnels de la finance, à l’image du Britannique Chris Mogridge, senior structurer au sein de la banque Santander, venu avec sa femme, Sylvia Chant, professeur de géographie à la prestigieuse London School of Economics.

Si l’objectif déclaré de « construire des passerelles » doit être a priori compris entre les rives de l’Atlantique et ses différentes cultures, rien n’interdit de penser qu’il s’agit également de jeter des ponts entre ces différents domaines d’activité, où la porosité est forte, comme le rappelle la trajectoire d’Ana Palacio ancienne ministre, passée à la Banque mondiale et récemment revenue en politique, ou de Marc Grossman, ancien sous-secrétaire d’État américain, désormais vice-président de The Cohen Group, boîte de conseil stratégique.

Nombreux étaient les anciens responsables politiques : outre Ana Palacio et Miguel Angel Moratinos, Olusegun Obasanjo (ancien président nigérian), Laura Chinchilla (ancienne présidente costaricaine), Aminata Touré, ancienne Premier ministre du Sénégal figuraient parmi les participants.

Place aux jeunes

La mise en relation, raison d’être des Atlantic Dialogues ? Le programme Emerging Leaders, lancé en marge de ces rencontres, peut le laisser penser. Il vise à stimuler l’apparition d’une génération de jeunes décideurs, marocains et étrangers, dans le sillon des rencontres Atlantic Dialogues. Nisrine Ouazzani, coordinatrice du programme, explique qu’il ne fallait pas laisser l’événement être un cénacle de décideurs (ou anciens décideurs) expérimentés partager leurs perspectives.

Pour inclure des jeunes, et par la même occasion les propulser dans les réseaux des plus hautes sphères de décision, le programme Emerging Leaders sélectionne une cinquantaine de jeunes pour leur dispenser en amont des Atlantic Dialogues une formation au leadership (dont une visite de la ville nouvelle / cluster de l’OCP à Ben Guérir) avant de les inclure parmi les participants de l’événement. « Quand on est choisi, on fait du lien avec des gens expérimentés », se félicite Ali Bensouda, bénéficiaire du programme, devenu récemment cadre dans la société de conseil Advanced Consulting, et déjà ancien directeur de la stratégie et du conseil interne à l’OCP. La finalité n’est pas tellement de trouver un emploi – les bénéficiaires étant déjà bardés de diplômes prestigieux – que de « faciliter des recherches de partenariat, du partage d’information, notamment sur les plate-formes et conférences dans cette région », précise Lamia Bazir, également emerging leader, qui travaille auprès de la présidence du gouvernement.

De quoi pérenniser également les rencontres des Atlantic Dialogues avec les décideurs politiques et économiques de l’espace atlantique de demain.

Lire aussi : Mehdi Tazi (Saham Assurances) dans le top 10 des leaders économiques africains

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