Comment le Maroc vend «l’islam du milieu» à l’international

Le Maroc entreprend depuis plusieurs années de se positionner en champion de l'islam dit « modéré », pour asseoir son rôle de médiateur au Sahel et en Afrique de l'ouest.

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La ministre déléguée aux Affaires étrangères, Mbarka Bouaida. Crédit: Rachid Tniouni
La ministre déléguée aux Affaires étrangères, Mbarka Bouaida. Crédit: Rachid Tniouni

Mbarka Bouaida, ministre déléguée aux Affaires étrangères, a conduit la délégation marocaine au sommet de la Maison Blanche sur la lutte contre l’extrémisme violent qui s’est tenu du 18 au 20 février à Washington.

L’occasion de confirmer un positionnement diplomatique de longue date, par lequel Rabat essaie de se mettre aux avant-postes de l’islam dit « du milieu », ou de la tolérance, pour mieux servir d’intermédiaire dans la pacification du Sahel, et ainsi étendre sa sphère d’influence via la carte religieuse.

L’INDH et les morchidates à Washington

A Washington, Mbarka Bouaida a notamment rappelé, comme le résume le site officiel du ministère des Affaires étrangères, le lancement en 2005 de l’Initiative nationale du développement humain (INDH) et la gestion marocaine du champ religieux, en vantant « la centralité du rôle de l’institution de la Commanderie des croyants », notamment « pour garantir les services religieux aux citoyens, loin de toute récupération idéologique », allant même jusqu’à évoquer « la formation continue des jeunes imams et des « morchidates », ainsi que la rationalisation, la réhabilitation et la modernisation de l’enseignement traditionnel ».

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Déjà, le 25 septembre 2014, le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane avait évoqué devant l’Assemblée générale de l’ONU l’approche du Maroc en la matière, consistant en des programmes de coopération religieuse avec les pays arabes et africains, et avait précisé que le royaume était prêt à partager son expérience de lutte contre le terrorisme, dans le cadre de la coopération bilatérale avec ses alliés.

Collaboration religieuse tous azimuts en Afrique

De fait, la liste des pays avec lesquels le Maroc a engagé une collaboration religieuse s’allonge : en plus du Mali, on compte ainsi la Guinée, le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Gabon, mais aussi les Maldives, la Tunisie, la Libye ou même l’Égypte.

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Et dans le sommet de Washington, organisé la semaine dernière en réaction au contexte international dominé par de nombreuses crises liées à l’extrémisme religieux (l’État islamique en Syrie, en Irak et en Libye, Boko Haram au Nigeria, Aqmi au Sahel…), le Maroc a pu voir le point d’orgue de la stratégie diplomatique qu’il applique depuis plusieurs années.

Ainsi, en juillet 2013, le Maroc a profité de la réception de l’Envoyé spécial de l’Union européenne pour le Sahel, M. Reyverand de Menthon, pour se positionner sur le créneau de l’islam dit modéré. On peut ainsi lire dans le programme de cette visite, rendu public par le compte Twitter anonyme Chris Coleman, cet élément destiné au diplomate européen :

Souligner que le Maroc peut jouer un rôle vecteur pour propager un islam modéré dans la région, pour dissiper l’idéologie radicale d’un islam étriqué prôné par Aqmi. Un axe Maroc-Mauritanie et Sénégal peut constituer une force triangulaire dans ce sens.

Le Maroc, rempart contre l’intolérance ?

Une idée également développée en septembre 2013 devant les députés européens à Strasbourg, par une délégation de parlementaires qui ont mis en avant ce que « le Maroc est en train de construire dans la région, en tant que pays arabo-musulman démocratique et intégrant plusieurs civilisations. (…) Un rôle qui fait du Maroc un modèle de développement politique et économique singulier et qui offre des éléments de réponses aux problématiques d’absolutisme et d’intolérance posées dans les autres pays arabes et musulmans.»

A nouveau, en décembre 2013, lors de la 11e session du Conseil d’association Maroc-Union européenne, Rabat avait défendu son« approche intégrée dans les domaines de la sécurité et du développement », peut-on lire dans le compte-rendu de la réunion, également révélé par Chris Coleman. Cette rencontre a été l’occasion pour le royaume de saluer les plus de 3 milliards d’euros (32 milliards de dirhams) débloqués par l’UE pour le Sahel (le Maroc avait lui mobilisé une enveloppe de 5 millions de dollars [47 millions de dirhams]), et de présenter « son entière disposition à poursuivre et renforcer cette coopération à travers la réalisation d’actions concrètes, notamment dans le cadre d’une approche triangulaire (UE-Maroc-pays du Sahel) ».

Et de mettre en avant les deux éléments les plus tangibles à son actif : la visite du roi au Mali en septembre 2013, et l’accord de coopération religieuse en fonction duquel « le Maroc formera 500 imams maliens sur plusieurs années » annoncé à cette occasion.

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« Étendre cette expérience à d’autres pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest »

Cet accord avait suscité l’approbation des partenaires occidentaux du Maroc, à l’image notamment des Américains, qui, en janvier 2014, d’après une note confidentielle de l’ambassadeur marocain à Washington Rachad Bouhlal, relatant son entretien avec Linda Thomas-Greenfield, diplomate en charge des Affaires africaines, ont « exprimé l’appréciation par les États-Unis pour ce genre de coopération et pour l’excellente approche prônée par le royaume pour assister le Mali, en soulignant le souhait de voir notre pays [le Maroc] étendre cette expérience à d’autres pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest ».

Le reste de l’échange entre les deux diplomates, à en croire ce document rendu public par Chris Coleman (voir ci-dessous), aurait précisément porté sur le rôle que le Maroc pourrait accomplir en Afrique pour les États-Unis (tout particulièrement en Gambie).

Le Maroc, « trait d’union pour un rapprochement entre l’Europe et l’Afrique » ?

La religion apparait dans les documents confidentiels publiés par Chris Coleman comme un tremplin pour les ambitions diplomatiques du Maroc sur le continent. Ainsi, une note de la direction des affaires africaines au ministère des Affaires étrangères, adressée au ministre [Salaheddine Mezouar] le 22 avril 2013 et intitulée Réflexion sur la stratégie du Maroc à l’égard de l’Afrique, mentionnait « l’instauration d’un dialogue qui vise la protection de l’intégrité religieuse en Afrique de l’Ouest, face à la montée du radicalisme religieux et du chiisme » comme l’un des moyens pour le Maroc de « jouer le rôle de « puissance relais » avec l’Afrique et de trait d’union pour un rapprochement entre l’Europe et l’Afrique ».

Quelques mois plus tard, on retrouve un argumentaire religieux comparable dans la bouche du chef de la diplomatie marocaine lors de sa rencontre avec son homologue britannique William Hague, le 27 novembre 2013, à en croire le compte-rendu de cette rencontre également publié par Chris Coleman :

[Salaheddine Mezouar] a fait part des efforts du Maroc pour contrer les velléités extrémistes par la promotion d’un islam tolérant et ouvert, à l’instar de ce qui se pratiquait au Maroc et traditionnellement dans la région.

Et si la religion n’est pas la seule cartouche de la diplomatie marocaine au Sahel, elle est l’un des moyens qui a permis au royaume de trouver toute sa place à la 5e conférence des donateurs pour le développement du Mali organisée mardi 17 février à Bamako.

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  • un Islam modéré, vous voulez dire Ness-Ness, comme preuve un juif qui n’est pas marocain, est responsable sur les morchidates en Belgique, une figure connu au Maroc pas en bien mais en mal, son nom est Claude Mouniquet qui roule pour le conseil européen des imams, trouvez-vous ça logique ?