Une hirondelle ne fait pas le printemps. Mais on veut nous faire croire, depuis quelques années, qu’un gazouillis, lui, peut faire une révolution. L’explosion spectaculaire des réseaux sociaux, et leurs rôles dans les différentes révolutions démocratiques des dernières années, réussies ou non, ont semble-t-il confirmé cette nouvelle loi historique. Un like, un tweet, un snapshot suffirent à faire tomber un régime. On le crut, on l’acclama.
Quelques années plus tard, plus dure est la chute de ces révolutionnaires du clavier. Les élections, là où elles eurent lieu, portèrent au pouvoir des quinquagénaires qui étaient en prison quand on inventait Internet. Ailleurs, des militaires, qui pensaient encore que Facebook est un site de rencontres pour adolescents attardés, reviennent aux affaires. Et un peu partout, jeunes et moins jeunes prennent les armes, les vraies, pour rejouer à l’histoire telle qu’on la connaît dans la région depuis quelques milliers d’années, celle qui se déroule sous le soleil et qui tue très souvent. Que reste-t-il de nos politiques virtuelles et pixélisées ? Une impasse. Et un exutoire.L’impasse attire une masse de jeunes arrivés à l’âge politique dans des conditions à la fois exceptionnelles et désespérantes. Les vieux régimes sont tombés. Et un peu partout, le désert les remplace.
L’exutoire, c’est la tendance qui fait désormais des réseaux sociaux l’équivalent des urinoirs publics, zébrés de gros mots et d’insultes anonymes. Heureusement pour les sanitaires des lieux publics, nous n’avons plus l’habitude d’avoir un stylo sur soi. Plus personne ne donne son avis sur la politique américaine, le néocolonialisme ou la monarchie sur les murs et les portes des toilettes. Inversement, Twitter et Facebook bruissent de répliques nauséabondes et irréalistes. Est-ce notre nouvel espace public, ce qu’il reste des promesses de 2011 ?
Le « village planétaire » annoncé par Marshall McLuhan dépendait de l’établissement d’un réseau dense de communications. Ce dernier existe désormais, mais aucun espace politique concret ne l’a accompagné. Peut-être que le fonctionnement même de ce réseau de communications immanent et foisonnant explique sa faiblesse politique. Marshall McLuhan disait aussi que le médium, fondamentalement, est le message. La radio a donné la dictature hurlante de Mussolini. La télévision le spectacle décérébrant de Berlusconi. Les réseaux sociaux donnent, pour le moment, des fragments politiques tour à tour drôles et stupides, incapables de cristalliser une pensée politique, encore moins une action de long terme, qui ne soit pas un simple happening. Ceux qui se désolent de la situation égyptienne, et de ses jeunes qui, hier encore à l’avant-garde du changement de régime, se retrouvent aujourd’hui derrière les barreaux, ou de la catastrophe syrienne, commencée par des appels autonomes à la désobéissance civile via les nouvelles technologies et qui est devenue une boucherie innommable, feront bien de repenser les vitesses et les dimensions propres aux politiques sur Internet. Surtout que le jihadisme comme l’autoritarisme rajeuni par la peur du désordre se sont plutôt bien adaptés au 2.0.
Il y a quatre ans, on a cru qu’entre l’écran et la rue, il suffisait d’un tweet pour jeter un pont. On sait qu’il n’en est rien. Twitter et Facebook servent de déversoir public aux frustrations, et gèrent le narcissisme juvénile au mieux des intérêts bien compris. La politique, elle, continue de fonctionner selon des règles anciennes.