Driss Lachgar: «C'est inadmissible qu'une minorité impose ses restrictions à tout le monde»

L'interdiction de Much Loved, le concert de Jennifer Lopez, le concert de Placebo engagé contre la dépénalisation de l'homosexualité au Maroc... Driss Lachgar revient sur les polémiques qui ont animé la scène médiatique ces dernières semaines.

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Driss Lachgar, le leader du parti de l’USFP fait partie des rares politiques à s’être exprimé contre la censure du film de Nabil Ayouch sur la prostitution ainsi que sur le scandale provoqué par le concert de Jennifer Lopez au Festival Mawazine. Pour Telquel.ma, il revient en détail sur ces polémiques successives et sur les actions entreprises par le ministre de la Communication, Mustapha El Khalfi.

Le dernier film de Nabil Ayouch, Much Loved, a été interdit au Maroc bien avant que le réalisateur ne demande de visa d’exploitation. Que pensez-vous de cette décision?

Cette censure reflète les décisions hâtives d’El Khalfi. Le ministre de la Communication ne réfléchit pas mûrement avant de prendre des décisions d’une telle ampleur. Aujourd’hui, ce n’est d’aucune utilité de censurer à l’ère d’Internet. D’un point de vue juridique, la censure du film de Nabil Ayouch était illégale. Le réalisateur n’a pas demandé de visa d’exploitation afin qu’il soit autorisé ou pas sur le territoire marocain et la procédure est claire.

La décision semble avoir été prise dans l’urgence dès que des extraits ont fuité sur la toile. Pourquoi cette précipitation ?

On prend ce genre de décisions pour faire plaisir à certaines personnes à la vision passéiste et on oublie que cela porte atteinte au patrimoine immatériel du royaume. Avec ces positions, on arrive mal à convaincre que nous sommes une exception dans la région en matière d’ouverture d’esprit et de respect des droits de l’Homme.

Quelles sont selon vous les raisons qui ont poussé une partie de l’opinion publique à s’indigner suite à la diffusion des extraits de Much Loved ?

Certainement le vocabulaire utilisé qui émane directement de la réalité. Pourtant, d’autres films sont sortis et sont dans la même veine. Zero, Casanegra ou encore Ali Zaoua contiennent un langage cru et montrent une certaine réalité aussi. Mais je pense que nous avons un problème avec la darija. Ce vocabulaire est employé partout depuis toujours, mais on refuse sa transposition dans la création artistique. Le Marocain n’a pas de problème à entendre des gros mots dans d’autres langues, même en arabe, mais est choqué à l’idée de les entendre dans sa propre langue. Nous avons une haine pour notre darija.

Les motifs d’interdiction du film sont-elles justifiables au vu des réactions de plusieurs citoyens et associations ?

Le citoyen a la liberté de choisir. Si ce film était diffusé à la télé, on aurait pu se poser des questions mais ce film était censé sortir au cinéma, personne n’est obligé d’aller le voir. En plus, avec les chaînes satellitaires, chacun peut accéder à tout ce qu’il veut depuis chez lui. Et puis, en quoi ce film porte atteinte à l’image du Maroc ? En 1976, Martin Scorsese avait sorti Taxi Driver, un film qui dresse le portrait de New York avec ses criminels, ses dealers de drogues, ses prostituées… Ce film a-t-il porté atteinte à l’image ou la réputation de New York comme capitale mondiale ? Taxi Driver contient des scènes beaucoup plus choquantes que celles de Much Loved, mais les Américains ne l’ont pas censuré, ils l’ont même gratifié de prix et de récompenses. Cette décision d’interdiction ne peut être justifiable en somme.

Quelques jours plus tard, une nouvelle polémique. Le gouvernement a saisi la HACA pour sanctionner 2M suite à la diffusion du concert de Jennifer Lopez au Festival Mawazine…

Les chansons de Jennifer Lopez sont accessibles avec un clic sur Internet, et soyez sûrs que tous ceux qui étaient présents au spectacle connaissaient par cœur la musique de cette artiste. Ont-ils attendu qu’elle soit sur la scène de Mawazine pour la découvrir? Nos familles regardaient quotidiennement les concerts, les Marocains suivaient le festival sur place ou à la télé. C’est inadmissible que l’ensemble du peuple veuille ce spectacle et qu’une petite minorité impose ses restrictions à tout le monde. Je ne pense pas que quelqu’un ait été obligé d’aller aux concerts ou de les visionner à la télé. Ce festival est un exemple pour toute la région, c’est une chance de recevoir des stars d’une telle ampleur dans notre pays. Que nous soyons capables d’organiser un événement pareil dans de telles circonstances internationales est un exploit aussi. Nos voisins sont incapables de faire pareil dans des salles fermées et ultra-sécurisées.

Justement, cette vision restrictive des médias et de la liberté de création ne pourrait-elle pas avoir des répercussions sur l’opinion que se font les pays démocratiques du Maroc ?

Je m’inquiète des réactions des organisations internationales pour les libertés individuelles vis-à-vis du Maroc. Leur dira-t-on « je suis clair », comme Mustapha El Khalfi l’a fait pour échapper aux questions qui gênent? Certaines fois, ne pas prendre de position est une position en soi, cela aurait pu être le cas pour le film de Nabil Ayouch ou le concert de Jennifer Lopez. Car au final, qu’est-ce que nous gagnons à interdire quelque chose qu’il est impossible d’interdire à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux ?

Mardi  2 juin, le guitariste de Placebo s’est exprimé en faveur de la dépénalisation de l’homosexualité en brandissant un 489 barré sur son torse. Dépénaliser l’homosexualité aujourd’hui est-elle une urgence ?

Il est difficile de prendre position sur un tel sujet sans concertation préalable avec le parti. S’il est difficile de nous prononcer sur la dépénalisation de l’homosexualité, nous encourageons la liberté de création. Maintenant, un rapport du ministère de la Santé appelle à la dépénalisation de l’homosexualité. Il devient urgent que le gouvernement se prononce sur ce dernier afin que ce dossier soit traité pour voir si l’on peut abolir la criminalisation de l’homosexualité.

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