Il y a des valeurs, bonnes ou mauvaises, qui marquent leur temps, donnent à leur époque des lettres de noblesse ou les frappent du sceau de l’infamie et du déshonneur. Certaines périodes célèbrent l’héroïsme, la beauté ou l’intelligence, d’autres annoncent la lâcheté, la laideur et la bêtise. C’est pour cela que l’on qualifie certains temps par les qualités premières qui les marquent (décadence, renaissance, résistance, Nahda…). Au Maroc, la valeur majeure qui caractérise notre temps est la médiocrité. Notre époque baigne, transpire, dégage et produit la médiocrité. Si notre pays doit sombrer un jour ou s’effondrer, ce ne sera ni à cause de l’absence de démocratie, ni de la pauvreté, ni de l’insécurité, mais tout simplement à cause de la médiocrité. Elle est là, présente et dominante. Nous la croisons constamment : dans notre vie quotidienne, au bureau, dans nos échanges les plus banals, à la télé, au parlement, dans les livres. P-A-R-T-O-U-T. Elle nous assiège et plane au-dessus de nos têtes. Elle est le spectre qui hante notre existence dans ce pays. Elle nous pousse vers le bas, encore et encore.
La médiocrité, pour paraphraser Nietzsche, est cette corde tendue entre l’abomination et l’excellence, une corde au-dessus de l’abîme. Être médiocre, c’est accepter et se résigner à être moyen, un peu mieux que mauvais, en se situant dans une zone de confort, vivant à se complaire et satisfaits d’échapper au sort des plus mauvais. La médiocrité est cette renonciation à la lutte, à l’effort et au combat pour devenir meilleur. D’où notre joie et bonheur à célébrer les classements où on n’est ni parmi les cancres ni parmi les bons élèves. On place le juste milieu sur un piédestal, l’élevant au rang de principe sacré. Borgnes au pays des aveugles, ainsi souhaitons-nous vivre.
La médiocrité de notre époque est visible à tous les niveaux. Elle est politique, avec une classe de dirigeants invertébrés et soumis, sans idées ni valeurs, dont la seule ligne de conduite est le populisme, préférant caresser les bas instincts des gens, au lieu de les hisser à d’autres niveaux. Elle est économique, culte de la rente et des prébendes, de l’argent facile issu de la spéculation et des connivences entre cercles de pouvoir, négation de l’effort, du risque et de l’intelligence créatrice qui sont à la base du capitalisme. Elle est culturelle et intellectuelle, dans un pays où des aveugles composent des couleurs pour des non-voyants, où des égos surdimensionnés ne produisent que laideur et bêtise. La médiocrité est sociale, règne du paraître et de l’insignifiance, où les individus oscillent dans leurs échanges entre le vide et le creux, et où la seule raison d’être et de vivre est de payer ses crédits d’appartement, de voiture et de vacances. La médiocrité au Maroc est contagieuse et virale. Elle se coopte et se reproduit à l’infini. Elle se complaît, se satisfait d’elle-même et s’autocongratule. La médiocrité est cet abîme qui nous absorbe tous, sans résistance ni espoir.