Ta vie en l'air. La joie du monde

Par Fatym Layachi

Depuis plus de dix jours, à en croire tes sms et tes mails, les signes sont formels: il va se passer quelque chose d’exceptionnel. Tu as droit à plein de cadeaux et à un tas de faveurs. Des roses. Des rouges à lèvres en promo. Des bougies parfumées.

Des crédits gratuits pour acheter un appartement. Une table au carré VIP d’une boîte dont tu n’as jamais entendu parler. Des réductions pour de la vaisselle. De la lingerie coquine. Des assurances pour ta voiture à prix réduits. Des cocktails que tu imagines très sucrés offerts toute une soirée. Et il y a vraiment de tout: des jeux de mots incongrus et de la bonne intention un peu bancale, du marketing douteux et des réductions alléchantes. Quoi qu’il en soit, tu te sens gâtée, un peu comme si c’était ton anniversaire, mais avec six mois de décalage.

Bien sûr que ce déballage d’attentions ne peut que te faire plaisir. Mais pour être honnête, tu ne veux pas être célébrée. En fait, tu aimerais quelque chose de beaucoup moins festif, de beaucoup plus simple finalement mais qui, paradoxalement, te semble tellement onirique: tu voudrais juste être respectée. Être considérée. Ni comme sexe faible. Ni comme sexe tout court d’ailleurs. Ni même comme un être sacré. Encore moins comme un être fragile. Être considérée comme un être humain à part entière. Ni à cause de ta féminité. Ni grâce à ta féminité. Ça devrait être assez simple. Tu n’as pas l’impression de demander la lune. Et pourtant… Par exemple, tu aimerais bien pouvoir marcher dans la rue sans avoir l’impression d’être une Sophia Loren qui se dénude sur la Croisette. Juste marcher dans la rue. Simplement. En jean, pull ample et en baskets. Ou maquillée et en jupe. Sans craindre d’être abordée, sifflée, insultée ou agressée. Et puis, en parlant de crainte, ce serait bien si tu te disais qu’en cas de malheur tu pourrais aller porter plainte dans un commissariat. Un service public a priori. Mais visiblement, ce n’est pas si simple. Pour l’instant, tu te dis que si –que Dieu t’en préserve- un malheur devait t’arriver, tu irais chialer dans les bras de ton père qui -Dieu merci- est suffisamment compréhensif. Ce n’est pas tant que tu n’aimes pas t’en remettre entre les mains de Dieu et les bras de ton géniteur, mais tu te dis que ça pourrait être plutôt pratique de pouvoir aussi compter sur les institutions étatiques. Mais, pour l’instant, ce n’est pas gagné. Ce que tu as gagné en revanche, ces derniers jours, c’est un nombre incalculable de messages censés te flatter. “Chère mère, épouse, sœur, vous êtes la joie de ce monde”. C’est bien joli. Tu es enchantée que des gens puissent voir en toi de la joie.

Mais là encore, tu ne veux pas être la joie de ce monde, ni l’espoir, l’exaltation, l’enchantement ou n’importe quel autre substantif aussi joli qu’abstrait. Tu veux juste être. Être toi-même. Alors, on aura beau t’offrir des bouquets somptueux ou même des perles de pluie venus de pays où il ne pleut pas et te chanter que tes sourires attirent et désarment, tu ne te sens pas grandie pour autant. Tu en as marre d’être diminuée tous les jours et chérie le 8 mars. Toi, tu continues de trouver insensé d’être considérée comme mineure. Tu ne vaux que la moitié de ton frère, tu n’hériteras de tes parents que la moitié de ton frère. Il ne s’agit absolument pas de modernisme, encore moins de féminisme. Ce n’est, selon toi, que du bon sens et de l’équité. Parce que si, au sein même de ton foyer, tes sœurs et toi ne valez pas autant que vos frères, il ne faut pas s’étonner que dans la société ce ne soit pas mieux.