Ta vie en l’air. Foi singulière

Par Fatym Layachi

Aujourd’hui est un grand jour ! C’est l’un des derniers repas que tu fais à la lumière du jour. Ramadan pointe le bout de son nez et ta tante a décidé de réunir tout le monde pour un déjeuner. Et ça tombe bien puisque ta cousine parfaite est là pour quelques jours de vacances. Parce que, en temps normal, ta cousine parfaite ne vit pas ici. Elle bosse à l’étranger. Elle a un super boulot dans une super banque et est mariée à un super type qui lui aussi a un super boulot dans une super banque. Ils ont des enfants trop mignons qui vont dans une super école, sont trilingues à sept ans et ont une super nounou parce que leurs super parents travaillent beaucoup. Mais comme ta cousine est absolument parfaite, elle arrive à prendre le temps de bien élever ses enfants, et notamment de leur transmettre leur identité marocaine. Elle ne veut pas que ses enfants se sentent déracinés. Elle fait tout tellement bien et en plus elle est jolie, souriante, généreuse… Elle est parfaite. Sa mère, comme à chaque fois que la fin de ses vacances approche, est très déçue. Et cette fois elle se dit qu’elle tient l’argument.

“Pourquoi tu ne prolongerais pas un peu, pour passer le ramadan en famille c’est mieux non?”. Après avoir reconnu le bonheur de savourer sa harira entourée de ses parents tout en commentant les pubs à la télé, elle avoue qu’elle “préfère jeûner à l’étranger”. Stupeur, tremblements et cris d’étonnement. “Mais comment ça?” “Ah bon?” “Tu te moques de nous?” Personne n’arrive à comprendre la logique de cette phrase. Et de Madame parfaite, elle est subitement passée à Madame suspecte aux yeux de toute une famille qui déjeunait si paisiblement. Mais Madame parfaite ne se démonte absolument pas. Elle campe sur ses positions. Elle le redit. Elle préfère pratiquer son jeûne ailleurs. Bien évidemment, son cas n’a absolument rien à voir avec celui de ton cousin qui s’enfuit tous les ans à Marbella et fait mine de ne pas avoir conscience du calendrier lunaire. Elle, elle apprécie particulièrement le fait de concilier les deux. Mais comment cela est-ce possible ? Ta tante a l’air totalement ahurie. Ta cousine s’explique. Elle affirme qu’ailleurs, elle se sent libre et qu’elle choisit de jeûner. C’est son choix, qui n’est dicté que par sa foi et non pas parce que c’est comme ça. Et elle ose même en rajouter une couche en affirmant haut et fort que de voir ses collègues croquer dans un bagel à la pause déjeuner n’ébranle absolument pas sa foi.

Du coup, tu as presque envie de déduire que sa foi est peut-être un peu plus solide que celle de ton oncle qui rouerait de coups de fouet toute personne qui oserait boire une gorgée d’eau. Mais bon, tu ne vas tout de même pas oser ce genre de conclusion. Enfin bref, c’est marrant sa conception de la liberté. Tu n’avais jamais vu les choses sous cet angle. Bien souvent dans ta famille, vous prenez les choses telles qu’elles sont. Et tu fais les choses comme elles doivent être faites. Tu mets un caftan aux mariages, tu achètes des cadeaux pour les naissances, tu mets une djellaba sobre aux enterrements, tu jeûnes pendant le ramadan, tu appelles tes grands-parents le jour de l’Aïd, tu te mets au régime avant l’été… Sans forcément te demander pourquoi. Juste parce que c’est comme ça. Parce que tout le monde autour de toi fait comme ça. Pour ta cousine, c’est un peu l’inverse. Rien autour d’elle n’est comme ça. Il ne s’agit que de ses convictions. Du coup, tu te demandes si ce n’est pas elle qui a raison.