Omar Saghi - Le nouvel âge du panafricanisme

Par Omar Saghi

Qu’est-ce que la maturité en politique internationale ? Vaste question. Le réalisme bien compris ? L’importance accordée à l’histoire ? La modération idéologique ? Aucune réponse n’est entièrement satisfaisante, mais on peut s’accorder à dire qu’au lendemain des indépendances, dans les années 1960, la politique africaine était immature. Entre les villages autogérés dans la Tanzanie de Nyerere et l’Algérie de Ben Bella, les tentatives d’unions mal ficelées entre Sénégal et Mali, et les interventions cubaines fleur au fusil, le continent ne sortait de la nuit coloniale que pour entrer dans la pénombre des rêves des mal réveillés.

Où en était le Maroc dans sa politique africaine à cette époque ? Passée l’euphorie lors de la constitution du groupe de Casablanca, le Maroc fait très vite figure de rabat-joie. Le réalisme marocain ne concorde pas avec l’esprit du temps. Son attachement au passé pré-colonial non plus. Ni sa volonté de maintenir, malgré tout, des relations pacifiées avec les anciennes puissances coloniales.

Rabat épinglait inutilement les contradictions du discours panafricain postcolonial : la volonté de solder le passé impérialiste et l’attachement aux frontières artificielles, la recherche de l’indépendance et l’attirance pour les mirages soviétiques, autre variante de l’expansionnisme occidental, l’insistance sur l’authenticité et la destruction des paysanneries traditionnelles… L’Afrique d’alors détestait non seulement son passé proche, colonial, mais même son passé lointain. Elle transforma l’Éthiopie, l’un des plus vieux empires du monde, en monstruosité marxiste. Elle étrangla les vieilles routes commerciales transcontinentales au nom des frontières nouvelles. Partout elle fit la chasse à l’ancien. Et dans cette jeune Afrique tiers-mondiste, le Maroc paraissait un triste vieillard.

Un demi-siècle plus tard, la configuration a profondément évolué. La modération du Sénégal ou de la Côte d’Ivoire, qui semblait de la pusillanimité, est devenue la norme. Le radicalisme idéologique de l’Éthiopie ou de la Tanzanie a été converti en ouverture économique. L’Afrique, écran de projection des mauvais rêves utopiques et infantiles de l’Occident, entre désormais, de plain-pied, dans l’ère du réalisme, c’est-à-dire de la mesure, de la frustration quotidienne, des demi-victoires et des semi-échecs. Bref, dans le gris de la vie adulte.

On ne peut s’empêcher de faire un lien entre cette transformation profonde de la politique africaine et le retour du Maroc sur la scène continentale. Vieux pays, assagi par les siècles, prudent et modéré, le Maroc ne cadrait pas avec le Zeitgeist des années 1960. Un demi-siècle plus tard, il est au contraire en phase avec la nouvelle Afrique. Le discours afro-marocain est devenu audible : un continent mature et indépendant ne tourne pas le dos à son passé ni à ses traditions ; un continent mature ne fait pas de surenchère idéologique et ne cultive pas le ressentiment anti-occidental ; un continent mature aborde la croissance économique et le libéralisme commercial sans complexe.

La réussite actuelle et future de la politique marocaine dans le continent sera à la mesure de son retrait passé, indexée sur l’évolution des mentalités des pays du Sud. L’hystérie anti-occidentale et l’attachement névrotique aux diktats gauchisants furent une continuation de la colonisation mentale par d’autres moyens. Dans une Afrique enfin panafricaine, c’est-à-dire décomplexée, un Maroc attaché à ses racines est chez lui.