La Cour des comptes s'inquiète de l'insuffisance des réserves d'hydrocarbures

Dans son rapport sur les stocks de sécurité, la Cour des comptes dresse un bilan inquiétant des réserves de produits pétroliers. Pour les magistrats de l’institution, la nouvelle conjoncture est porteuse de risques.

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La raffinerie de la Samir, à Mohammedia. Crédit: Yassine Toumi / TelQuel

« Les stocks de sécurité des produits pétroliers sont marqués par une insuffisance structurelle par rapport au niveau prévu par la réglementation qui est de 60 jours de consommation pour les produits raffinés chez les distributeurs« , relève la Cour des comptes dans son dernier rapport sur les stocks de sécurité publié cette semaine.

Les écarts sont plus significatifs pour certains produits de grande consommation comme le gasoil et le butane. Pour le gasoil par exemple, les stocks disponibles à fin 2015 ne permettaient de couvrir, en moyenne, que 24,1 jours de consommation. Pour le butane, ces stocks ne couvraient que 27,5 jours de consommation.

Quant au supercarburant, les stocks disponibles ne couvraient que 34,8 jours de consommation. Les stocks de fuel chez les distributeurs présentent la situation la plus critique avec des niveaux ne couvrant pas plus de cinq jours de consommation, sachant que ce produit est utilisé essentiellement dans la production de l’énergie électrique et dans certaines industries.

Les délais réglementaires bafoués

Un écart significatif est enregistré également pour les stocks de carburéacteur (carburant des avions) qui ne couvraient que 19 jours de consommation. A noter que dans plusieurs cas, les stocks atteignaient des niveaux critiques ne dépassant pas 10 jours pour certains mois.

« Concernant le pétrole brut, l’obligation réglementaire de détenir 30 jours de ventes par le raffineur n’est respectée qu’à moitié avec des stocks ne couvrant que 15,7 jours de ventes à juillet 2015. A signaler que depuis cette date, le raffineur local [Samir, NDLR] est en arrêt d’activité ce qui porte un risque supplémentaire sur la sécurité de l’approvisionnement du marché en produits pétroliers« , alertent les magistrats.

Concrètement, l’insuffisance des stocks de sécurité est corrélée à une insuffisance des capacités de stockage. Ainsi fin 2015, mis à part le supercarburant qui dispose de capacités de stockage équivalentes à 79 jours de consommation, les autres produits accusent un déficit en la matière malgré les efforts d’investissement déployés au cours des dernières années. C’est le cas pour le butane et le carburéacteur qui affichent des capacités respectives ne pouvant contenir que l’équivalent de 46 et 42 jours de consommation. Le fuel ne dispose que de l’équivalent de 26 jours de capacité chez les distributeurs, tandis que les capacités de stockage du gasoil correspondent à 56 jours de consommation.

Le contexte actuel n’arrange pas les choses

Quant au contexte actuel, le secteur des produits pétroliers a été marqué durant l’année 2015 par « deux événements majeurs qui ne sont pas sans implication sur le système et la situation des stocks de sécurité », indique la Cour. Il s’agit de l’arrêt d’activité de la Samir, à partir de juillet 2015 et de la libéralisation des prix des produits pétroliers à partir du 1er décembre 2015.

Cette raffinerie qui approvisionnait 48 % du marché national avant son arrêt, est en liquidation judiciaire. Ses activités n’ont pas repris et les perspectives de reprise ne sont pas encore claires.  « En conséquence, à partir de l’été 2015, le marché national est approvisionné exclusivement par l’importation de produits raffinés. Cette situation ajoute une pression supplémentaire sur les stocks de sécurité qui souffraient déjà de déficit par rapport aux obligations réglementaires et aux niveaux recommandés par les instances internationales« , explique la Cour des comptes.

Lire aussi: La Cour des Comptes alerte sur l’insuffisance des stocks de sécurité du Maroc

Une libéralisation mal encadrée

Il faut dire que la libéralisation des prix des produits pétroliers peut avoir des conséquences sur l’approvisionnement du marché. Pour accompagner cette libéralisation, le gouvernement a signé le 26 décembre 2014, avec les opérateurs pétroliers, un accord d’homologation des prix des produits pétroliers.

A travers cet accord, les opérateurs pétroliers se sont engagés à assurer l’approvisionnement du pays dans les meilleures conditions sans toutefois que ces conditions soient précisées. Ces mêmes opérateurs se sont engagés à créer de nouvelles capacités de réception et de stockage des produits pétroliers. De son côté, le gouvernement s’est engagé à développer des infrastructures portuaires et à soutenir la création de nouvelles capacités de réception et de stockage des produits pétroliers.  « Cependant, ces engagements restent imprécis. En effet, ils ne sont ni quantifiés, ni répartis par opérateur, région, produit… et non cadrés par un échéancier de réalisation, ce qui n’est pas de nature à favoriser le suivi de la réalisation de ces engagements« , indique la Cour.

Les juges ajoutent que « la situation des stocks de sécurité des produits pétroliers montre un déficit structurel par rapport aux niveaux requis par la réglementation nationale et la pratique internationale. Cette situation est accentuée par l’état actuel du marché qui est approvisionné exclusivement par l’importation de produits raffinés après l’arrêt d’activité du raffineur local« .

Investissement insuffisant

Le diagnostic de l’instance dirigée par Driss Jettou relève par ailleurs un investissement insuffisant dans le développement des capacités de stockage. Les mécanismes d’incitation testés par le passé n’ont pas réussi à dépasser cette situation. « Tenant compte de ces éléments, il est urgent de mettre en place une stratégie de développement des stocks de sécurité des produits pétroliers basée sur un objectif à moyen terme visant d’atteindre, en dehors des stocks outils chez les opérateurs, un niveau de stock de sécurité équivalent à 30 jours de consommation en produits raffinés à constituer par les opérateurs« , recommandent les magistrats.

Cet objectif peut être inscrit dans le cadre d’un contrat-programme entre l’Etat et les opérateurs sur la base d’un échéancier convenu. Il faut également cibler un objectif à plus long terme visant à atteindre les niveaux requis par l’AIE (Agence internationale de l’énergie) en la matière.

« Il est, ainsi, recommandé d’étudier l’opportunité de réaliser une partie des obligations de stockage de sécurité dans le cadre d’un partenariat entre l’Etat et les opérateurs pétroliers. Ce partenariat peut prendre la forme d’une société d’économie mixte« , signale la Cour des comptes.

Dans ce cadre, les montants accumulés à travers la marge spéciale de constitution des stocks peuvent servir pour le financement d’un projet de développement d’infrastructures dédiées. Le pilotage de ce système pourrait être confié à un organisme représentant l’Etat et les professionnels du secteur.

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