Fatym Layachi - Docilité volontaire

Par Fatym Layachi

C’est l’hiver, il fait froid, il pleut, les maisons sont mal chauffées, tout le monde s’enrhume. Apparemment, même dans le désert il neige.

Tes contacts WhatsApp adorent partager des photos de dunes ou de palmiers recouverts d’un manteau blanc. Les images sont photoshopées ou datent d’il y a des années, et alors  ? Ce n’est pas très grave. Les images circulent, sont commentées, c’est le principal. Ici, la véracité de l’info est parfois secondaire. Ici, on accepte les infos tranquillement et docilement sans trop se poser de questions. Douter, s’interroger, se remettre en question ce n’est pas très culture locale. C’est valable pour les rumeurs invraisemblables que tu te retrouves à colporter, mais c’est aussi valable pour tout ce qui t’est imposé. C’est comme ça. Tu ne te révoltes pas. Bougonner dans un salon sans trop faire de vagues, à la rigueur ça tu sais faire par contre. L’autorité pyramidale est incontestable.

Quand ça vient de plus haut, on accepte. Point. Ça ne se discute pas. Ça se contourne éventuellement pour plus de confort. Quand quelque chose ne te convient pas, tu ne te dis pas qu’il faudrait la changer, mais tu te demandes juste comment passer outre. C’est peut-être là le frein au développement du plus beau pays du monde. Au lieu de remettre en question les injustices et les aberrations, on se contente de trouver un moyen plus ou moins honnête de les contourner. Et finalement tout va bien. Mais tu te dis que ton manque de civisme n’est ni congénital ni inné et n’est sûrement pas une fatalité. Ton sens civique a juste besoin d’être apprivoisé. Ça serait quand même vachement bien si on arrêtait de nous prendre pour des sujets et pour nous considérer comme des citoyens. Et pas que pour la forme. Toi, tu aimerais bien t’intéresser à la chose publique. Tu trouves ça beau l’engagement, ça a une certaine noblesse. Mais rien n’est fait pour t’en donner envie. Au contraire. Les élections sont passées depuis des mois, il n’y a toujours pas de gouvernement, mais apparemment ça ne change pas grand-chose au fonctionnement du pays. La présidence du parlement semble s’être jouée à “qui perd gagne” et tout le monde a l’air de trouver ça normal. Tu ne te sens pas vraiment impliquée dans la vie de ton pays, tu trouves ça plutôt triste et ce n’est même pas à cause de ton mode de vie un petit peu décalé. Il y a un truc que tu trouves assez fou à bien y réfléchir.

Le pays est entré en guerre depuis plus d’un an en envoyant hommes et minutions dans un pays que tu saurais à peine placer sur une carte et pour des raisons qui ne t’ont jamais été expliquées. Ni à toi ni à tes compatriotes. Loin de toi l’idée de remettre l’éventuel bien-fondé de cette guerre. Non, sûrement pas. Ça vient de là-haut, c’est forcément juste. L’État a forcément ses raisons et elles sont forcément bonnes. Tu te dis simplement que ça aurait été bien d’en parler, de les expliquer ces raisons. Ce n’est tout de même pas anodin d’être en guerre. Du coup, tu te mets à rêver que cette action a été discutée au parlement. Et puis, il te semble même que c’est ce que prévoit la Constitution. Tu te dis aussi qu’il aurait peut-être fallu la respecter cette Constitution, qui a été certes adoubée mais peut-être pas suffisamment lue. En tout cas, pas au point de faire réagir si elle est un peu malmenée.