Fatym Layachi - De l'amour et des hommes

Par Fatym Layachi

Vendredi matin, tu as du mal à te concentrer sur le boulot. Ta tête est déjà en week-end. Tes collègues sont déjà dans le couscous. Zee est déjà en train de planifier votre soirée à coups de messages sur WhatsApp. Et toi, tu te demandes ce que tu fous au beau milieu de cet open space à faire semblant de travailler sans conviction. Du coup, tu traînes sur Facebook à la recherche d’un scoop, d’une photo à liker ou d’un tberguig à spotter. Pas mal de tes contacts partagent des articles concernant un buzz. Un docu diffusé dimanche dernier sur la chaîne nationale fait un tollé sur la Toile. Tu soupires. Ce fléau national qu’est le commentaire haineux à portée de clic a encore fait des siennes. Ça commence à devenir récurrent ces tempêtes dans des verres de Sidi Ali ! Et tu commences à trouver ça de plus en plus stérile.

Toi, ce docu tu l’as vu et tu l’as trouvé très beau. Ça, c’est ton point de vue, c’est subjectif. Mais ce qu’il y a d’objectif c’est qu’il n’y a rien qui puisse faire scandale. C’est un documentaire et, selon le dictionnaire, c’est donc censé être “un film, à caractère didactique ou culturel, visant à faire connaître un pays, un peuple, un artiste, une technique, etc.” Et c’est exactement ce dont il s’agit : un film qui met en lumière des couples qui parlent d’amour. Des couples marocains qui racontent comment ils s’aiment, comment ils se sont rencontrés, comment ils vivent, ici et maintenant. Ici, dans le plus beau pays du monde et au 21e siècle donc ! Mais quand tu lis les commentaires qui pullulent sur les Internets, tu as l’impression qu’une frange de ce pays a basculé dans l’obscurité la plus sinistre. Alors, autant tu veux bien tenter de faire l’effort d’essayer de comprendre lorsqu’il s’agit de prostitution, de corruption et d’autres choses perçues comme un peu crades, des gens poussent des cris d’orfraie. Un tabou a été brisé et c’est toujours un peu compliqué de se regarder dans la glace. Mais là, ce n’est pas un tabou qui a été brisé. C’est d’amour dont il s’agit. Le truc le plus universel. Le truc qui fait rêver tout le monde ! La réalisatrice a filmé des couples, des jeunes, des moins jeunes, des urbains, des ruraux, des voilées, des cheveux au vent. Bref, des Marocains qui parlent d’amour. C’est beau parce que c’est sincère. C’est riche parce que c’est divers. Il y a sûrement de quoi débattre, mais pas de quoi choquer. Toi, il y a plein de choses qui t’ont interpellée, qui t’ont émue dans ce docu. Il y a une scène au début qui t’a particulièrement marquée. Un couple de jeunes époux a griffonné ses rêves sur un bout de papier qu’il a accroché sur le mur de briques de son logement de fortune. Leurs rêves sont universels. Les tourtereaux rêvent d’évasion et de réussite. Tu hallucines complètement devant le flot de réactions haineuses. Du coup, ce docu, tu le revois. Pour essayer de voir ce qui peut faire polémique. Ce qui peut choquer. Et non, tu ne vois rien. Vraiment rien.

Tu appelles la tante de ta mère, la puritaine de service. Il se trouve qu’elle aussi était devant sa télé dimanche dernier. Elle a trouvé ça touchant. Du haut de ses 83 ans, elle a estimé que c’est beau de parler d’amour. Elle trouve même les hommes d’aujourd’hui mieux qu’avant ! Tu n’arrives vraiment pas à comprendre ce déferlement de haine sur la Toile. On est vraiment malade si même quand il s’agit d’amour on ne peut pas se regarder dans le miroir. On a peut-être un problème avec le bonheur et ça serait encore plus inquiétant. Il est bien loin l’Orient qui faisait rêver avec les Mille et une nuits… Tu as la nausée en relisant certaines réactions. Tu es plus convaincue que jamais que seul l’amour pourrait nous sauver.