Expo: L’esthétique beldie-street de Hajjaj

La première exposition de Hassan Hajjaj à Casablanca est l’événement artistique de cette fin d’année 2017. Le pop-art de cet artiste marocain, parmi les plus bancables à l’international, séduit la planète tout en interpellant vivement ses concitoyens.

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Avec Mounir Fatmi et Lalla Essaydi, Hassan Hajjaj est l’un des trois artistes contemporains marocains vivants les plus cotés à l’international. Curieusement, il n’avait jamais exposé à Casablanca jusqu’ici. Il y avait foule ce mardi 5 décembre au soir, à la galerie L’Atelier 21, quartier Racine. Une foule bien plus socialement métissée que d’habitude. Les lieux ont été customisés. La moitié inférieure des murs est recouverte d’une combinaison de couleurs caractéristiques de la palette de l’artiste : vert amande, rouge brique, ocre jaune et orangé. Le long des murs sont alignées ces caisses en plastique rouge, sérigraphiées de lettres arabes blanches, à l’effigie de Coca-Cola. Recouvertes de coussins en toile de bâche imprimée de grosses fleurs orangées, elles font comme un salon marocain. Une formation de jeunes Gnaouiate est là, remplissant l’air des rythmes afro-berbères familiers.

Marques détournées et matières recyclées

Sur les cimaises, les portraits photographiques de plus d’une vingtaine de “créateurs” ou assimilés, amis de l’artiste. Cela va de la tatoueuse de henné anonyme à la photographe d’art reconnue, en passant par des DJs et autres stylistes de mode. La série est intitulée My Maroc Stars. Y figurent, entre autres, la chanteuse de pop internationale Hindi Zahra, la photographe Lamia Naji, l’artiste contemporaine Chourouk Hriech, le designer de mode Amine Bendriouich et DJ Van. Les photographies sont tirées en grand format sur des feuilles d’aluminium. L’encadrement fait partie intrinsèque de l’œuvre. Il est de deux types. Taillé dans le caoutchouc de pneus de voiture recyclés, pour partie, il se présente, également, sous forme de caissons américains entourés de petites boîtes de conserve de marques plus ou moins iconiques. Les personnages posent frontalement. Ils arborent systématiquement des tenues originales, conçues dans un style afro-maroco-street très prononcé. Elles sont coupées dans des matières improbables : couverture de fabrication chinoise, en laine synthétique imprimée de grosses fleurs — un leitmotiv —, toile servant aux sacs d’emballage de telle marque de sanida (sucre semoule), ou encore ce skaï siglé Louis Vuitton dont on fait ces sacs, poufs et babouches contrefaits qu’on retrouve dans tous les souks du royaume. L’élégance extravagante des costumes est ironiquement soulignée par moult accessoires, aux couleurs aussi flashy : chaussettes de footballeurs, grosses lunettes et taguiate (toques) tricotées. Les personnages sont saisis dans des décors rappelant fortement ceux des anciens studios-photo de la première moitié du XXe siècle. Sauf que les traditionnels fonds peints représentant des paysages et/ou des tentures sont ici remplacés par ces hssirate (nattes) en plastique, aux couleurs vives et aux motifs géométriques, qui ont envahi les intérieurs marocains populaires ces deux dernières décennies.

Évidemment que la référence à Andy Warhol est patente. L’artiste marocain a emprunté au pape du pop-art américain sa critique ludique de la société de consommation à travers le détournement de marques populaires, ainsi que son usage de visages plus ou moins connus comme motif plastique. Mais la référence à Warhol n’est pas la seule clé du succès de cet artiste qui ne laisse personne indifférent. L’esthétique ultra-codée et kitsch qu’il met en œuvre, avec une déroutante maestria, rappelle tout autant les montages photographiques des très britanniques Gilbert et Georges — en moins politique, moins subversif, plus ludique — que les tirages argentiques rehaussés à la peinture des Français Pierre et Gilles.

Un artiste pop à l’efficacité anglo-saxonne

AmineSittin'-TirageMétalliqueLambda,cadreEnBoisEtBoîtesàThéHH-140,5x101,6x10,3cm-2015-1436Né en 1961 à Chaouen, Hassan Hajjaj a passé son enfance et sa prime jeunesse en Angleterre où son père avait émigré. Dès son adolescence, il déserte les bancs de l’école pour aller s’immerger dans les milieux de l’underground londonien. Touche-à-tout, il s’essaie, avec quelque succès, aussi bien au DJing qu’au design d’objets, en passant par le stylisme de mode, avant de trouver enfin sa voie en rencontrant, relativement tard, un appareil photo. De retour au Maroc, il s’installe à Marrakech. On ne soulignera jamais assez les aspects très pop-art et très anglo-saxons inhérents à la démarche du personnage Hajjaj. Une démarche aux antipodes de la représentation que l’on se fait de l’artiste contemporain dans les pays latins et chez nous — forcément distant, à l’œuvre forcément hermétique. Hajjaj détonne par la fraîcheur, la légèreté et l’accessibilité de son propos, mais également par la redoutable efficacité de sa démarche somme toute très marketing. À titre d’exemple, les tirages photographiques de l’artiste ne sont jamais numérotés, ce qui en diminue le prix. Et si l’artiste reste malgré tout hors de portée, l’amateur pourra toujours se rabattre sur la lanterne traditionnelle sérigraphiée, la babouche, la carte postale et autres objets dérivés designés par l’artiste et disponibles, entre autres, dans son riad-showroom, sis dans la médina de Marrakech.

D’une cohérence têtue, le joyeux univers élaboré par Hassan Hajjaj est reconnaissable, entre tous, au premier coup d’œil. UneDjVan-TirageMétalliqueLambda,cadreEnBoisEtPotsDePeinture-130x94x6,9cm-2017-1438 esthétique néo-beldie, très street, aux caractéristiques indéniablement marocaines, avec des accents africains, saupoudrés d’un zeste de swinging London. Oui, c’est cela : l’art de Hajjaj est “glocal” (contraction des mots global et local). Un art du détournement et du second degré, à la branchitude assumée. Un regard ironique, tendre et amusé, posé sur une réalité extrêmement mise en scène, mais jamais dramatisée. Un travail sur l’identité. Une identité heureuse et décomplexée. Le travail de Hassan Hajjaj est au cœur des questions de l’heure. Des questions qu’il ne (se) pose pas mais auxquelles il répond, néanmoins, par un grand éclat de rire. L’underground comme voie de salut ?  

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