Abécédaire de mots français qui puisent leur origine dans la langue arabe

Roland Laffitte, lexicographe et secrétaire de la société d'études linguistiques et étymologiques françaises et arabes, décrypte 14 mots français aux racines arabes.

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Crédit: Abdillah Wicaksono/Flickr

Roland Laffitte a une passion pour la langue arabe. Une langue qu’il découvre au Maroc où il habitait fin des années 1940. « À l’école primaire, nous avions deux heures de cours d’arabe dialectique par semaine. Bien que phonétique, la langue m’avait interpelé, et j’y ai pris goût« , nous explique le lexicographe.

De retour en France en 1954, il fait part de son désir d’enseigner cette langue à l’école républicaine. « On m’a ri au nez. Ça ne se faisait pas d’apprendre la langue arabe à l’époque« , se souvient-il.

Le chercheur attend alors les années 1990 pour s’adonner à sa passion. « Je me suis dit qu’il fallait que je m’y mette, car c’était un champ inexploré« . Il se penche à l’époque sur les mots arabes et persans utilisés dans les langues européennes, mais aussi sur l’astronomie ancienne arabe ou araméenne, entre autres.

En 2002, le lexicographe lance la société d’études linguistiques et étymologiques françaises et arabes (SELEFA). Son association regroupe aujourd’hui des chercheurs qui font le pont entre l’Occident et l’Orient à travers les mots.

Qu’ils soient calqués (traduction latine) ou empruntés, les mots arabes sont présents dans la langue française. Roland Laffitte explique dans Le legs de la langue arabe au lexique français que « si l’on prend comme témoin Le Petit Robert, près de 425 entrées sur les 35.000 présentées sont recensées comme d’origine arabe, soit à peu près 1,5 %« .

Cela tombe bien, l’auteur du livre Des noms arabes pour les étoiles nous éclaire sur 14 mots courants qui puisent leur origine dans la langue arabe ou ont été transmis via cette langue.

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La série de jeu vidéo Assassin’s Creed s’inspire largement de l’histoire des ḥašīšiyyūn

Assassin

Ce terme a été introduit dans la langue française par l’écrivain Rabelais qui l’adapta de l’italien  » assassino« , présent notamment chez Dante. Le mot tire sa source du terme arabe ḥašīšiyyūn signifiant « fumeur de haschisch« , donné par le géographe Al-Idrīsī pour désigner les membres d’une branche du mouvement ismaélite fondée par Hasan Al-Sabbāḥ, dit « le Vieux de la Montagne« , et qui, de la fin du XIe au milieu du XIIIe siècle, pratiquait l’assassinat politique, notamment à Maṣyaf (Syrie).

La légende dit que le terme est utilisé pour désigner les assaillants chargés de cette besogne, car ils consommaient cette drogue pour se préparer à leurs raids punitifs. Il est toutefois fort possible que l’appellation trouve son origine chez les détracteurs du mouvement. Ces derniers, selon d’autres sources, n’étaient pas adeptes du haschisch, et s’autodésignaient, paraît-il, « asāsiyyīn« , littéralement « fondamentalistes« .

Crédit: DR
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Bougie

Vers le début du XIVe siècle, une chandelle spéciale portait le nom de sa ville d’origine, « Biğāya » en arabe, du berbère « Bġayet« . Puis « Biğāya«  devint « bougie ».

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Chiffre 

Le mot nous vient du terme latin médiéval « cifra » et de l’arabe « ṣifr » qui signifie « vide« . Le terme en arabe est un calque du sanskrit suniya, qu’on doit à Muḥammad Mūsā Al-Khwārizmī. C’est ce mathématicien perse qui adapte les chiffres indiens (déjà mentionnés dans la Syrie du VIIe siècle) au calcul dans la civilisation islamique vers 820. Notons que le même mot arabe a aussi donné le terme zéro.

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Douane

Entré dans la langue française au XIVe siècle, ce mot est repris du latin « doana » et de l’arabe « dīwān« . Le terme a une histoire assez longue qui remonte à la découverte de l’écriture en Mésopotamie vers 3400 avant notre ère.

Le terme « dīwān » a été emprunté par les Arabes au moyen perse dans son sens de « bureau fiscal ou administratif« . Notez que la compréhension du même mot donne aussi « conseil« , puis « salle du conseil ».

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 Elixir

Au commencement se trouve le mot grec « ksérion«  qui signifie « poudre siccative« . Les alchimistes arabes s’en saisissent pour désigner la « substance miracle« : « al-iksīr al-ḥayāt« . Les clercs latins récupèrent à leur tour le terme et parlent d’élixir dans l’œuvre poétique Roman de la rose (XIVe siècle).

Notez que l’expression arabe a pour synonyme « mā’ l-ḥayāt« , c’est-à-dire « potion de longue vie« . Plus tard, les médecins latins reprennent « mā’ l-ḥayāt » qu’ils désignent comme « aqua vitae » devenu « eau-de-vie« .

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Fraction

Au début du XIIe siècle, Adelard de Bath utilise dans sa traduction du traité d’arithmétique d’Al-Khwārizmī le mot « fraction«  qui vient de l’arabe « kasr« .

goudron

Goudron

À la fin du XIIe siècle, le terme « catran » désigne cette substance huileuse, visqueuse et noirâtre, à odeur forte et âcre. Un terme qui tire son origine de l’arabe « qiṭrān« .

Crédit: DR
Crédit: DR

Jupe

Ce mot nous est parvenu par l’italien méridional (XIIe siècle) puis de l’occitan « jupa« . En arabe, « ğubba » signifie « vêtement de laine« . Désignant au départ un vêtement d’homme, c’est seulement au XVIsiècle qu’il est rapporté à la gent féminine.

Mesquin

Le mot vient de l’arabe « miskīn » qui veut dire « pauvre« . Il a été repris en italien au moyen-âge sous la forme « meschino« . Mais le terme n’a pas été créé par les Arabes. Il est hérité de l’araméen « mešken« , qui le tenait de l’akkadien « muškenu » où il s’appliquait à la basse classe libre de la société.

orange

Orange

Le mot a été transmis de l’arabe « nāranğ » qui désigne « orange douce ». Ce terme est lui-même emprunté du persan « narang » et d’un dialecte du sud de l’Inde, le malamaya, qui appelle le fruit « nāraṅa« .

Risque

Contrairement à une idée répandue, le mot ne vient pas du grec « rhezikon« , employé pour destin, fortune, ou encore péril. Il s’est transmis au XIVe siècle, par le canal de l’espagnol « riesgo » ou de l’italien méridional « risco » ou encore de l’arabe « risq » au sens premier dérivé d' »aléa ».

Mais la paternité du mot ne revient pas à la langue arabe. Le terme a été emprunté au pahlavi « rōzīk » qui voulait dire « pain quotidien, moyen de subsistance« .

Crédit : Coralie Ferreira/Flickr.
Crédit : Coralie Ferreira/Flickr.

Sucre

Le nom de cette substance bien connue apparaît dans le français à la fin du XIIe siècle à travers l’italien « zucchero » qui vient de l’arabe « sukkar« . Mais là aussi, le terme en arabe a emprunté au sanskrit « śarkarā« , qui voulait d’abord  dire « sable » ou « gravier« , et  au persan « šakkar« .

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Tambour

L’instrument de percussion ne tire pas son nom de l’arabe « ṭanbūr« , qui désigne un instrument à cordes inspiré du persan « tabīr« , mais de « ṭabl« , dont sont probablement tirés aussi les mots « timbre » et « timbale« , ou encore « tabouret« , et « tambourin« . Or le mot arabe est lui-même tiré de l’akkadien « tābalu » et de l’araméen « ṭabal« .

Véga

Les calendriers arabes antiques avaient une étoile, alpha de la Lyre dans la nomenclature moderne, liée à la divinité Nasr, l' »Aigle », citée par le Coran. Dans le ciel arabe tel qu’il est connu par des documents du IXe siècle, cette étoile est appelée « al-Nasr al-wāqiᶜ« , littéralement « l’Aigle qui tombe », pour la distinguer d’un autre Nasr, alpha de l’Aigle, appelée « al-Nasr al-ṭā’ir » (l’Aigle qui vole).

Le nom apparaît sous la forme curieuse « alnasaraguega » dans le Traité de l’astrolabe de Llobet de Barcelone (980) qui reprend le traité récemment adapté par Maslamal-Mağrīṭīde celui d’al-Ḫwārizmī. (825).

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