"Razzia" de Nabil Ayouch: un manifeste pour la liberté, desservi par une intrigue éclatée

Nous avons regardé en avant-première "Razzia", le dernier long métrage de Nabil Ayouch, qui sort le 14 février en salles.

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Razzia de Nabyl Ayouch

Nabil Ayouch s’est toujours érigé en cinéaste héraut d’une frange de la société frustrée par l’orthodoxie ambiante, farouchement éprise d’une certaine idée de la liberté et qui se donne les moyens de rêver d’un avenir commun et radieux. Avec son nouveau long métrage « Razzia », il ne se détourne pas de cette quête.

Pensé comme des bribes de chroniques sociales, ce quatrième long métrage donne à voir les expériences – parfois larmoyantes et convenues – de différents personnages brimés dans un environnement hostile et conservateur « post-printemps arabe« .

Des destins tragiques à travers lesquels Nabil Ayouch dit explorer des espaces de lutte pour la liberté et contre l’intolérance sans pour autant être percutant. « Razzia » évoque pêle-mêle des phénomènes comme l’acculturation identitaire, les fractures sociales, la misogynie, l’homophobie ou encore l’antisémitisme. Mais le cinéaste finit par se perdre dans une intrigue éclatée à trop vouloir en dire en 119 minutes. On rembobine.

En ouverture du film, le cinéaste nous plante sur les hauteurs d’un village du Haut Atlas. Abdellah, un enseignant et poète lumineux, s’applique à transmettre son savoir à ses élèves. Il enseigne en amazigh, mais son ministère se borne à l’en dissuader.

Il sera forcé de faire face à la politique opiniâtre de l’arabisation de l’enseignement. Abdellah -très bien joué par Amine Ennaji- résiste, mais ça lui sera fatal…

Nabil Ayouch nous projette par la suite dans une manifestation dans ce qui se présente comme le Casablanca d’aujourd’hui. Des femmes voilées ou en burqas et des hommes en qamis protestent en vrac et dans le vacarme contre l’égalité entre les sexes ou encore contre l’égalité dans l’héritage. Avec cette ambiance traditionaliste en toile de fond, les personnages centraux de « Razzia » se montrent aux spectateurs. Ils se croisent sur plusieurs scènes, mais entrent rarement en interaction.

Un tourbillon de crises existentielles

Il y a Salima, une jeune femme au foyer mal dans sa peau, qui tente de gérer au quotidien son nanti de mari, insensible et misogyne sur les bords, mais aussi les simples anonymes dans la rue qui lui jettent des phrases déplacées sur la longueur de sa jupe…

Dans sa détresse, Salima n’est pas seule. Il y a aussi Hakim, un malheureux musicien qui vit dans un quartier populaire avec sa petite famille conservatrice. Incompris et surtout constamment importuné dans la rue à cause de sa métrosexualité, il se réfugie dans le passé glorieux de Freddie Mercury, leader charismatique du groupe anglais Queen, et se rêve en chanteur à succès. Face à sa misérable situation, il finira par craquer.

Une des scènes haletantes du film est celle où Hakim humilie, à coups de poing, un fils de riche irrespectueux au cours d’une fastueuse soirée d’anniversaire qui tourne au chaos.

Un autre personnage central assistera à cette scène. Il s’agit d’Inès, une adolescente introvertie et à fleur de peau. Elle est secrètement amoureuse de la femme de ménage des voisins, fait ses prières, parle « mecs » avec ses copines… et comme pour forcer encore plus le trait du personnage déjà assez stéréotypé, la jeune fille se mutile.

Joe, un restaurateur bon vivant, mais qui se sent terriblement seul au fond, s’ajoute à la boucle de « Razzia ». Sa solitude sera égayée par une rencontre avec une pétillante prostituée.

Elle lui fait une fellation dans sa Range Rover face à la mer à Ain Diab, mais coupe court à leurs rapports tarifés, une fois qu’elle découvre qu’il est juif. Dans ce tourbillon de crises existentielles, des émeutes éclatent à Casablanca. Une mise en perspective intéressante des crispations moralistes et binaires contre lesquelles Nabil Ayouch se bat.

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