Aux origines de la "french touch" dans le cinéma d'animation

Le cinéma d'animation français a sa propre identité, qui le différencie de l'animé japonais et des cartoons américains. Laurent Valière, spécialiste de la question, nous explique en quoi consiste cette fameuse "french touch".

Par et

Affiche du film d'animation Le Roi et l'oiseau. Crédit: DR

Laurent Valière est journaliste à France Info au service culture. Il est l’auteur du livre Cinéma d’animation, la french touch. En marge du Festival international du cinéma d’animation de Meknès (FICAM), il est venu donner une conférence sur la spécificité de cinéma d’animation français à l’institut français de Casablanca. C’est à la cafétéria, 30 minutes avant son intervention, que nous l’avons rencontré.

Laurent Valière.Crédit: DR

Telquel.ma : Selon vous, qu’elle est cette spécificité française, cette « french touch » présente dans les films d’animation ?

Laurent Valière: Il y a plusieurs facteurs: tout d’abord il y a une grande tradition graphique en France et des arts visuels. Déjà au 19e siècle il y avait pas mal de caricaturistes. On a une grande tradition de bande dessinée aussi, en France et en Belgique. C’est un genre qui a pas mal évolué, avec du contenu pour les enfants, comme pour le cinéma d’animation d’ailleurs. Dans le début des années 1970, la BD est devenue plus adulte. Il y a une vraie richesse de style dans ces deux pays, c’est indéniable.

Ce qui a créé cette spécificité française c’est aussi les subventions publiques. En France beaucoup de films sont produits avec une caisse aidant à la création de ces œuvres. Ce système aide les films à se faire et ce phénomène se retrouve aussi pour les dessins animés. On en retrouve plus en France qu’ailleurs. Une certaine économie s’est créée et est devenue rentable.

En parlant de bande dessinée, cette corrélation avec le cinéma d’animation est-elle une spécificité française ?

Non pas forcément. C’est une des particularités, mais ce n’est pas le seul pays à faire ça. Je pense notamment à toutes les adaptations de mangas au Japon. Disons que l’une des spécificités françaises c’est la richesse dans le graphisme des bandes dessinées, les styles graphiques sont tous différents et on retrouve cette diversité dans l’adaptation en dessin animé.

C’est l’une de nos forces. Face à de gros budgets américains de plus de 100 millions de dollars, comme Pixar, qui envahit le monde avec des produits dérivés, en France on est en marge, mais on arrive toujours avec des projets différents. Ça reste cependant artisanal et c’est une économie fragile.

A quand remontent les débuts du cinéma d’animation en France?

Les gens ne le savent pas toujours, mais l’animation est née en France avant le cinéma, en 1892 par intermédiaire d’Émile Reynaud. Il a inventé une lanterne magique qui permettait de projeter des animations grâce à un système doté d’une roue de bicyclette et d’un ruban de 36 mètres sur lequel étaient regroupés des milliers de dessins en couleurs.

Par la suite le cinéma d’animation est resté quelque chose d’artisanal pendant très longtemps et a toujours été considéré comme un art en France. Des sculpteurs ou des peintres considéraient que l’animation était en moyen de donner vie à leurs œuvres. Aux États-Unis par exemple ce n’est pas la même chose. Quand Walt Disney crée son studio dans les années 1920, il taylorise son entreprise en recrutant beaucoup et en produisant énormément de films. En France, Paul Grimault a été le premier à vouloir adapter ce schéma.

Quelle place a Paul Grimault dans le monde du cinéma d’animation?

Son film La bergère et le ramoneur en 1952 est une étape importante. On appelait Paul Grimault le « Disney de gauche ». Il a essayé d’avoir la souplesse de Disney en ayant un service guidé plus anarchique.

Par la suite, il a ouvert une école en France et ouvrait ses portes aux jeunes qui voulaient faire de l’animation. Il avait une philosophie humaniste. Les scénarios de Grimault vont gagner en épaisseur lorsqu’il débute sa collaboration avec Jacques Prévert.

Ce dernier donne une profondeur politique, apportant un réalisme poétique aux œuvres. Il applique ainsi ce qu’il faisait au cinéma auparavant en donnant un côté antidictatorial comme dans Le Roi et l’oiseau, ce qu’on ne retrouve pas dans des films pour enfants.

Des réalisateurs comme Miyazaki se sont inspirés de Grimault par la suite. Il considérait qu’il réalisait ses films comme un cinéaste ce qui a ouvert son esprit. C’était monté et réalisé comme un film normal, non pas comme un cartoon.

Comment est perçu le cinéma d’animation par le reste de l’industrie cinématographique en France?

Il reste très mal vu. Il suffit de regarder la dernière cérémonie des Césars. À chaque catégorie un acteur prestigieux venait pour décacheter l’enveloppe et donner le vainqueur. Pour le grand prix du cinéma d’animation, personne n’est venu, c’est le maître de cérémonie qui s’en est occupé. Il n’y a pas eu un acteur pour le faire. Néanmoins il faut signaler qu’il y a de plus en plus de ponts, des scénaristes qui font des prises de vues réelles, et mettent leur art au service de l’animation, comme Céline Sciamma. Je trouve cela formidable, ça apporte un décollage énorme.

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Bio Express

Couverture du livre de Laurent Valière "Cinéma d'animation, la french touch"
Couverture du livre de Laurent Valière « Cinéma d’animation, la french touch »

Laurent Valière est producteur à Radio France. Il anime « 42e rue », émission hebdomadaire consacrée à la comédie musicale et « Station Opéra » consacré à l’opéra. Sur France Inter, il produit la chronique quotidienne « Tous en scène » ainsi que le magazine hebdomadaire « Tous les Mickey du monde » consacré au cinéma d’animation. Journaliste au service Culture de France Info, il a animé les chroniques « Cartoon story » et « Les Cinglés du musical ». Spécialiste du cinéma d’animation, il publie le livre « Cinéma d’animation, la French Touch », paru aux Editions de La Martinière et Arte édition le 11 mai dernier.[/encadre]

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