Le cri de Mila, autiste, pour que la société entende ses enfants autistes

Lorsqu'elle a été invitée à se présenter le 19 avril lors de la conférence-débat du Comité Parité et Solidarité de 2M  "Autisme : vers une meilleure intégration sociale", Mila s'est définit comme appartenant presque à une autre espèce. Portrait.

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Mila, 37 ans, mère autiste de deux enfants autistes. Crédit: DR

Si je devais décrire ma planète, ça ne ressemblerait à rien de ce que vous connaissez« , expose sereinement la grande brune de 37 ans. Difficile de savoir ce qui compose l’univers de Mila. Mais ce qui est sûr c’est que la jeune femme aux Rayban violettes est atypique… tout comme son autisme. Après avoir vu sur Facebook que la chaîne  2M organisait une conférence sur le thème de sa particularité, elle réagit par un mail à l’adresse du comité, qui l’invite dans la foulée.

« Je vois beaucoup d’interventions sur les autistes mais jamais d’autistes qui prennent la parole. Demandez-leur s’ils ont envie de s’intégrer dans une société malade, qui considère les autistes comme des malades, comme des handicapés, qui se permet de décider comment les autistes devraient vivre ou mourir. Nous ne sommes pas là pour nous intégrer à la société c’est à la société de s’adapter à qui nous sommes », avait-elle écrit. Mila signe son mail de son simple prénom et d’un mystérieux code « F 84.1 ». Ce code qualifie en fait son autisme atypique qui se situe entre F 84.0 qualification internationale de l’autisme infantile – et le syndrome d’Asperger F 84. 5, une des formes les moins « sérieuses » de l’autisme. Mila n’est ni l’un ni l’autre.

Si l’autisme se manifeste généralement par des difficultés de communication, de comportement et/ou de socialisation, rien ne semble transparaître chez la trentenaire. « Je ne suis pas censée parler, mais je parle », explique-t-elle. La jeune femme, diagnostiquée il y a trois ans seulement, paraît très à l’aise en public et s’impose quand elle le juge nécessaire. L’intervention d’une neurospsychiatre pendant la conférence de 2M le 19 avril l’a mise en colère. La docteure a défini l’autisme comme étant une « difficulté du cerveau à rentrer en interaction de façon innée avec les autres« . « Je suis désolée de vous apprendre que je n’ai aucune difficulté de cerveau social », avait-elle alors répondu sèchement. « Au contraire, je pense qu’il est tellement développé que j’ai besoin de me protéger de la société », ajoutait Mila.

Un univers sensoriel

La trentenaire perçoit en effet des choses que de nombreuses personnes non-autistes ne pourraient pas remarquer du premier abord. « Vous vous ennuyez non ? », nous demande-t-elle malicieusement lors de notre première rencontre. Il suffit que nous lui posions une série de questions dans la foulée, pour que la jeune femme perçoive notre stress après sa question. Les sens de la jeune femme sont si éveillés que ses sensations peuvent se rattacher et se cumuler entre elles en même temps. « Je peux refuser d’interagir avec des personnes qui projettent trop de choses sur moi, parce que je vais voir cela comme une tâche jaune sur mon bras », explique-t-elle. Le trop plein sensoriel peut vite lui faire perdre le fil. Dans un brouhaha, Mila ne peut pas se concentrer et perd le contenu de ce qui est dit. « Lors de la conférence de 2M, il y a une personne de l’assistance qui a hurlé dans son micro […] j’ai payé les pots cassés, en général les gens crient parce qu’ils pensent que nous sommes sourds », explique-t-elle.

Mila reste discrète quand on lui pose des questions sur sa vie privée. Elle préfère davantage parler de ses enfants et partager des instants plutôt que de s’attarder sur les mots. « Cela ne m’a jamais intéressée qu’on s’intéresse à moi », se plaît à esquiver la jeune femme riant. Sa fille et son fils sont autistes comme elle. C’est d’ailleurs au moment du diagnostic de sa fille de quatre ans que Mila a appris qu’elle elle-même était autiste.

Pieds nus à l’école

Quand personne ne lui parle la jeune fille ne se préoccupe pas de ce qui l’entoure. Elle joue par terre et chantonne. Mais lorsqu’une personne interagit avec elle, quelle bavarde ! Il suffit de réagir à ce qu’elle dit pour qu’elle enchaîne les répliques. « Pour ne pas qu’elle reste dans son coin, il faut lui parler dès qu’elle dit quelque chose », explique Mila. La discussion n’est alors qu’un jeu d’improvisation permanent, passant du ciel aux montgolfières, aux dangers de sortir ses doigts de la voiture pour en finir aux loups qui mangent les mains. Le mari de Mila, qui travaillait dans l’agriculture biologique, n’est pas autiste mais se prête parfaitement au jeu. Et les rires envahissent le cocon familial.

Mila se dit heureuse de pouvoir faire grandir sa fille dans une crèche de l’association « Ma petite ferme » près de Rabat, au contact de la nature et des animaux. Entre les enfants autistes et non-autistes qu’accueillent l’établissement, pas de différence : tous courent pieds et mains nus, depuis que la fille de Mila a lancé la mode. Mila est bénévole dans cette ferme éducative. Elle fait valoir son expérience de mère autiste d’une enfant autiste auprès des autres éducatrices de l’établissement en les aidant à rentrer dans le jeu des enfants autistes, quatre sur les 20 petits écoliers.  

Grâce à cette méthode d’éducation, la fille de Mila qui ne pouvait pas parlait jusqu’à l’âge de deux ans, peut désormais dire à sa mère qu’elle est jolie lorsqu’elle met une robe. « En tant qu’autiste je n’ai pas envie d’être enfermée dans une classe, il n’y a pas mieux que d’élever ses enfants en pleine nature », explique Miala fièrement. Quelques jours après notre rencontre, la petite famille prendra d’ailleurs la route, en voiture, pour un road-trip jusqu’en France. 

À la société de s’adapter à elle

En décidant de ne pas scolariser son adolescent, Mila s’est attirée les foudres de sa famille et de son entourage, mais cela n’a pas l’air de la toucher plus que ça. Pour elle, le plus important n’est pas de les sociabiliser, puisque ce ne sont pas des êtres sociaux. Elle mobilise donc son énergie pour en faire des créateurs, quelle que soit la nature de leur création. « C’est une création qui servira les neurotypiques [les non-autistes, NDLR], c’est donc une forme de sociabilisation à travers un objet », explique-t-elle. Son fils de quatorze ans, lui, n’est pas scolarisé. Il est occupé par un projet de plantes carnivores après être passé par onze écoles différentes en France.

Même si la jeune femme ne veut pas porter de jugement, elle s’interroge quant au besoin qu’auraient les autres mères d’enfants autistes d’intégrer  leurs enfants dans des classes. Elle tente de l’expliquer par la notion de « survie sociale« . Avoir un enfant autiste, « c’est la mort sociale pour une mère au Maroc« . Pour elle, ce sont les pressions de la société qui imposent de « dresser » les enfants, de ne pas les laisser gambader et d’adhérer aux codes des personnes qui ne sont pas autistes. Mila conseille aux mères d’enfants autistes de se débarrasser une bonne fois pour toute des « stérétoypes » qu’elles s’imposeraient. L’autisme n’est ni un handicap, ni une maladie, mais simplement une différence, rappelle-t-elle. À la société de comprendre cette différence.

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