Jawad, derrière le masque du chauffeur de bus (épisode 1)

D’un quartier de la banlieue casablancaise, à Moulay Youssef, Jawad fait plusieurs allers-retours dans la journée au volant de son grand bus bleu souvent aux vitres, aux freins ou au klaxon cassés. Il nous raconte son métier, au grès de la route et des voyageurs qu’il transporte.

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Jawad, 28 ans, travaille depuis deux ans pour la société de bus et transporte quotidiennement des centaines de passagers. Crédit: Théa Ollivier / TelQuel

Jawad * est adossé à un mur, écouteurs dans les oreilles, au terminus des bus dans le centre-ville de Casablanca. Lui, c’est le chauffeur de ce bus bleu cabossé qui l’attend. Il regarde les premiers passagers s’installer sur les sièges abimés. Bientôt, il reprendra le volant pour faire un énième trajet vers la banlieue de la capitale économique.

Agé de 28 ans, il travaille depuis deux ans pour la société de bus et transporte quotidiennement des centaines de passagers. Tous les matins, il se réveille à 4 heures pour prendre le transport de Mohammedia – où il habite avec ses parents et ses frères et soeurs – vers le garage central où un véhicule lui est désigné.

« Depuis que je suis petit, ma passion c’est de conduire », avoue avec un sourire le grand jeune homme aux cheveux bien coiffés. Il a d’abord travaillé comme aide-chauffeur de camion afin d’économiser de l’argent pour passer le permis poids lourds et travailler comme routier. « La différence entre un camion et un bus, c’est que dans un camion c’est calme et tu ne parles pas. Les bus, non, les gens vont te forcer à parler », se plaint le jeune homme qui regrette la tranquillité.

S’il évite un maximum de parler à ses passagers, c’est que Jawad a peur d’avoir des embrouilles. « Quand des contrôleurs montent dans le bus, c’est toujours le bazar. Ces derniers partis et l’amende de 35 dirhams payés, les gens s’énervent souvent contre moi et vont jusqu’à casser une vitre », témoigne le jeune homme.

Cette violence, il la vit d’autant plus près qu’il travaille sur une ligne de bus « qui mène chez les dealers ». « Les passagers roulent des joints, les fument dans le bus, fument aussi des cigarettes et se collent aux femmes », raconte-t-il. Ses pires souvenirs sont les jours de match de foot, quand les supporteurs partent du quartier populaire vers le centre- ville pour se rendre au stade Mohammed V. « Les gens qui montent dans le bus sont souvent des jeunes sous l’effet de pilules, ils ont tous du hachich, sont drogués ou ivres », se souvient-il. « Ils rentrent sans payer, ne laissent pas les portes se fermer, rentrent avec leurs instruments de musique, disent des gros mots et embêtent les gens assis à leur place », s’énerve-t-il, impuissant pour intervenir.

« J’ai deux masques, l’un dans le bus et l’autre quand je sors du bus »

Jawad, chauffeur de bus à Casablanca

« Avant, je travaillais comme chauffeur de camion, j’étais doux et gentil, je respectais les gens. Depuis que je suis chauffeur de bus, je suis devenu dur », explique le grand jeune homme désillusionné qui espère en revenir à prendre la route. « J’ai deux masques, l’un dans le bus et l’autre quand je sors du bus », résume-t-il.

Frère aîné de la fratrie, il est pourtant obligé de prendre place derrière son volant tous les matins pour toucher ses 3.500 dirhams de salaire. « Moi je fais ce métier parce que je suis pauvre, tout comme les passagers qui prennent le bus », constate le jeune homme qui n’a jamais vu monter dans son bus un homme d’affaires. « Ce qui m’a poussé à rester dans ce métier, ce sont les faveurs de Dieu qui me protègent. Souvent, quand les clients descendent du bus, ils te donnent une bénédiction », tempère-t-il, ému.

*Le prénom a été changé pour des raisons de confidentialité.

Avec Ayoub Ait Taadouit

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