En Une de L’Economiste daté du 7 aout, le chef du gouvernement se livre dans un entretien où il fait le point sur les dossiers chauds de l’été et de la rentrée. Limogeage de Mohamed Boussaid, réponse au boycott, discours du Trône, prix des carburants, gaz et emploi… Les mots-clés des réponses de Saad Eddine El Othmani sont « cohésion », « social » et « réalisation en cours ».
Le limogeage de Mohamed Boussaid n’a pas encore livré tous ses secrets
« La Constitution permet au Souverain de limoger un ministre après consultation avec le chef du gouvernement. Et c’est exactement ce qui s’est passé avec le ministre des Finances, » raconte El Othmani en référence au limogeage de Mohamed Boussaid par le roi Mohammed VI le 1er aout, avec pour simple motif l’invocation du principe de reddition des comptes.
Sans plus de détails officiels, les hypothèses vont bon train sur les raisons du départ du ministre RNI. « Je tiens à dire que les informations et explications apportées çà et là manquaient de précision. Elles sont fausses, » assure-t-il. Puis de poursuivre, interrogé sur d’éventuelles sanctions à l’encontre de l’ancien ministre : « Les poursuites dépendent de la nature et du type de dépassement. Lorsqu’il s’agit d’erreurs professionnelles banales, le limogeage suffit. […] D’ailleurs, la sanction administrative est elle-même lourde et difficile ».
Le chef de gouvernement a également eu un mot pour celui qui assure l’intérim au ministère de l’Économie, Abdelkader Amara, également ministre de l’Équipement, et qui devra chapeauter la préparation du projet de loi de finances 2019. Il « n’a pas une formation en économie ou en finances, mais son expérience en tant que ministre, parlementaire et membre de la commission des finances de la Chambre des représentants lui permettra de bien s’acquitter de cette mission, » a déclaré El Othmani à propos de son camarade du PJD, indiquant également que la nomination d’un nouveau ministre « pourrait attendre la rentrée ».
Sur le boycott, « trois mois c’est court »
Sur la question du boycott qui vise les produits des marques Afriquia, Sidi Ali et Danone depuis le 20 avril dernier, le chef du gouvernement reconnait « le droit légitime » des citoyens à en user. « Si les causes du boycott sont d’abord d’ordre social, le programme du gouvernement met dans son ensemble le focus sur la cohésion sociale. Sauf que les réponses ne peuvent venir du jour au lendemain, » déclare El Othmani.
« Mais cela fait plus de trois mois que le boycott se poursuit…, » fait remarquer L’Économiste. « Trois mois, c’est très court dans la vie d’un gouvernement ! » rétorque-t-il. « Nous avons des programmes à caractère social qui vont résoudre le fond de cette colère et de ces tensions sociales. Une bonne partie de ces programmes est en cours de réalisation, d’autres vont suivre, » promet-il.
Mettre en œuvre le discours du Trône
« Quelque chose continue à nous faire défaut en matière sociale, » relevait Mohammed VI dans son discours du Trône du 29 juillet 2018. Pour remédier à ce « déficit social », le roi pointait d’abord du doigt l’éparpillement des programmes de soutien et de protection sociale entre les différents ministères et d’autres départements publics. Et de lancer un appel au gouvernement et à l’« ensemble des acteurs concernés » pour réformer de manière « globale » et « profonde », les programmes et les politiques d’appui de protection sociale.
Sur la charte de déconcentration, c’est la 14e fois que SM le Roi en parle dans ses discours depuis 2002
Sur un certain nombre de chantiers, Mohammed VI allait jusqu’à donner un calendrier précis pour la mise en place des réformes. « Le premier chantier consiste à faire adopter la Charte de déconcentration administrative, avant la fin du mois d’octobre prochain, » déclarait notamment le souverain. « Bien sûr, c’est réalisable, je vous rassure, » répond El Othmani à L’Économiste. « Sur la charte de déconcentration, c’est la 14e fois que SM le Roi en parle dans ses discours depuis 2002. En 2013, le Souverain a précisé qu’il a demandé plus de trois fois au gouvernement d’élaborer la charte de déconcentration. En ce qui me concerne, depuis que je suis à la tête de ce gouvernement, je veille quotidiennement à accélérer le chantier de cette charte, » poursuit-il.
El Othmani élève ses innombrables commissions au rang de gouvernance
S’engageant à ce que son gouvernement respecte les délais fixés par le discours du Trône, El Othmani y veillera en utilisant une organisation dont il a fait sa spécialité : les groupes de travail et les commissions ministérielles. « Les commissions ministérielles ne remplacent pas l’administration, loin de là. Elles ne prennent pas de décision, mais suivent des chantiers à caractères stratégiques pour une meilleure coordination avec les différents intervenants. Dans chaque dossier et chaque chantier, pas moins de 5 à 6 ministères interviennent. C’est donc un nouveau mode de gouvernance pour de meilleures coordination et convergence entre les différents départements, » explique celui qui a annoncé la création de pas moins d’une vingtaine de commissions depuis son arrivée à la tête du gouvernement.
RSU pour 2019
La mise en place du registre social unique (RSU) — sur lequel Mohammed VI a insisté dans le discours du Trône — est justement un chantier interministériel. « C’est un chantier stratégique qui est suivi de près par le ministère de l’Intérieur, avec son homologue des Affaires générales, ou encore le département de la Famille, de la Solidarité, de l’Egalité et du Développement social, » rappelle El Othmani, indiquant que ce registre qui attribue un identifiant unique aux citoyens depuis sa naissance jusqu’à son décès « sera opérationnel en 2019 ». « Ce dispositif renforcera la rentabilité des programmes à caractère social. Jusque-là, il faut le reconnaître, la majorité des programmes ont un rendement moyen, mais pas médiocre, » note le chef de gouvernement.
Carburants et butane, les dossiers explosifs
Autres dossiers hautement inflammables sur le bureau d’El Othmani, ceux du prix des carburants d’une part et du gaz butane d’autre part.
Re-subventionner les carburants… Jamais. On ne revient pas en arrière ! En revanche, cadrer et recadrer, oui.
Comment le gouvernement El Othmani compte-t-il endiguer la hausse des prix des carburants à la pompe ? Cette hausse a jusqu’à présent profité aux pétroliers marocains qui ont engrangé des milliards de dirhams de marges supplémentaires depuis la libéralisation du secteur fin 2015. « Re-subventionner… Jamais. On ne revient pas en arrière ! En revanche, cadrer et recadrer, oui. Sur le plan international, il y a beaucoup d’expériences et de modèles. Nous sommes en train d’étudier les différents scenarii, pour avoir notre propre modèle tout en nous inspirant des schémas des pays développés. L’enjeu est de garder la libéralisation, qui est déjà faite, tout en sauvegardant le pouvoir d’achat Le mixage entre ces deux objectifs constitue le sujet de fond des discussions actuellement au gouvernement, » affirme El Othmani. Une recherche d’un équilibre qui date au moins depuis la fin mai, comme en attestait déjà à l’époque des sources gouvernementales à TelQuel.
Dans ses conditions, l’urgence pour le gouvernement n’est pas de procéder à la décompensation annoncée du sucre et du gaz butane. « Jusque-là, nous n’avons pas encore prévu de calendrier. Mains nous sommes en train de réfléchir à une formule de manière à enlever les subventions, surtout sur le gaz butane, sans pour autant affecter le pouvoir d’achat des citoyens, de la classe moyenne et des couches vulnérables, » atteste le chef de gouvernement.
Pour El Othmani, le développement des énergies renouvelables permettra en outre « d’alléger la pression sur notre pays qui ne produit ni pétrole ni gaz. » Aussi se montre-t-il prudent sur l’espoir de produire du gaz à Tendrara : « Pour le moment, ce sont des prévisions. Bien sûr, le moment venu, lorsque cela se confirme, le Maroc sera fier de l’annoncer ».
Rappelant que le Maroc s’est engagé devant la communauté internationale à porter la part des énergies renouvelables à 42 % de son mix énergétique d’ici 2020 et 52 % d’ici 2030, El Othmani indique que c’est désormais 34 % de l’énergie marocaine qui est issue de sources renouvelables et que « dans le même esprit, d’autres chantiers seront annoncés en 2018 et 2019 ».
Entreprise + croissance = emploi
Dans la droite ligne du discours du Trône dans lequel Mohammed VI déclarait « avoir toujours été persuadé que la forme suprême de protection sociale est celle qui passe par la création d’emplois productifs et garants de dignité, » El Othmani affirme à son tour que « nous devons appuyer l’entreprise et la compétitivité de l’économie nationale pour produire de la richesse et pouvoir financer des actions à caractère social. » Ainsi, « le gouvernement a procédé à l’actualisation et l’approbation de la stratégie nationale de l’emploi. Une stratégie horizontale qui concerne l’ensemble des départements ministériels et les secteurs productifs ainsi que le secteur privé ».
Mais sur la problématique de la croissance, El Othmani reconnait ne pas avoir trouvé la solution. La question de L’Économiste le fait sourire : « Booster la croissance… Cela a toujours été le problème de l’ensemble des gouvernements. Nous finirons par trouver la solution. Ce n’est pas facile, je l’admets. »
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