Exit les modèles traditionnels de festivals à large public comme Mawazine, L’Boulevard ou Gnaoua. Aujourd’hui de nouvelles architectures de festivals émergent et s’affirment au Maroc. Il y a eu d’abord Oasis en 2015, l’année suivante Atlas Electronic et Moga qui se sont positionnés sur le filon de la musique électronique, dans sa compréhension la plus large.
Les offres de trois projets sont différentes, mais se croisent dans l’intention de créer des espaces de liberté pour un public plutôt aisé, le temps d’un week-end. Atlas, Oasis et Moga proposent une immersion de trois à quatre jours de concerts programmés de midi jusqu’au petit matin dans de luxueux hôtels et promettent des expériences festives où tout est (presque) permis dans un cadre safe. Des paradis artificiels qui ont trouvé un public niche capable de payer entre 900 à 2250 dirhams. Round-up sur les spécificités et les modèles de chaque festival.
Atlas Electronic : le plus arty
Torses nus pour les hommes, des bikinis flashy pour les femmes, des perruques ou cheveux décolorés pour tout le monde, de la musique assourdissante et de l’alcool à gogo… Cet esprit de fête adolescente à l’américaine, comme l’a mis en scène Harmony Korine dans Spring Breakers pourraient être facilement projeté sur les festivals selects de musiques électroniques au Maroc. À contre-courant de cette esthétique de « party harder », Atlas Electronic s’inscrit dans une dynamique différente (et même surprenante) avec une programmation pointue et éclectique (allant de l’électro mainstream à la musique progressive), un site intéressant de vie (l’éco-lodge villa Janna) et des ateliers liés de près ou de loin à la musique.
On peut donc faire de la méditation en écoutant de la musique, bronzer au bord de la piscine ou se balader en suivant le parc de sculptures réalisées spécifiquement pour le festival. « Ça va au delà de la fête, » comme le dit Karim Mrabet, fondateur du festival. Il y a trois ans ce natif de Rotterdam, qui a travaillé comme commercial, a décidé de se lancer dans l’aventure Atlas. « Je voulais explorer la scène marocaine et on a commencé par organiser des gigs avec des artistes marocains et néerlandais. Après réflexion, j’ai pensé qu’il était beaucoup plus pertinent pour moi de faire des choses au Maroc qu’en Europe, » nous explique-t-il. Il dit avoir apporté son propre argent pour monter le festival avec l’aide d’institutions comme le prestigieux Prince Klaus Fund for Culture and Development. Aujourd’hui, 15 personnes travaillent à mi-temps sur le projet tout au long de l’année, 100 personnes travaillent à temps plein durant les quatre jours du festival et collabore aussi avec 50 personnes issues d’un des douars de la Palmeraie. Une source non-autorisée estime le budget d’Atlas Electronic à 3,3 millions de dirhams.
Sold-out pour sa troisième édition, Atlas continue pourtant de rouler à perte. « On n’y est pas encore, mais on y croit. La pérennisation d’un festival se fait dans la durée et je pense que nous sommes bien partis pour y arriver, » estime Reda Kadmiri de l’équipe de production. « Pour la quatrième édition, nous allons approcher des institutions privées, mais aussi publiques comme le ministère de la Culture. Car au delà du festival et de la musique, nous organisons des talks, des performances et nous allons aussi lancer des projets d’interventions dans la ville », ajoute Karim Mrabet. Pas plus tard qu’en juin, le festival a organisé un concert de quatre heures des musiciens de Joujouka à Villa Janna et à quelques jours du début du festival, Atlas a invité le collectif de musique V.I.V a performé autour des images du film Mirages de feu Ahmed Bouanani à l’espace d’art Le18, derb El Ferrane à Marrakech.
Prix : de 900 à 1500 pour les quatre jours du festival, fin août.
Oasis : le monstre (déjà) sacré.
Marjana Jaidi, un peu à l’étroit dans les soirées de 500 personnes qu’elles organisent à New York, voulait « depuis des années », produire un festival de musique électronique au Maroc. Il y a cinq ans, son cousin Youssef Bouabid, lui confirme que « c’est le moment ». Une opportunité financière pour ce gérant de fonds d’investissement qui confie « ne pas être le plus grand fan d’électro » ? « Oui et non. Non, parce qu’il y avait un vide. Oui, parce que c’est une véritable industrie, énorme en Europe et aux États-Unis, et qu’il n’y avait aucune raison que le Maroc ne s’y mette pas, » explique-t-il.
Ils s’associent avec leur ami Ismael Slaoui, communicant, pour créer le premier festival de musique électronique au Maroc. Ils investissement l’hôtel Fellah à Marrakech pour une première édition aux allures de soirée privée. Succès organisationnel, la réussite est moins perceptible du côté de l’affluence. Mais déjà le festival impose sa marque de fabrique : les meilleurs DJ du moment (au sens propre du terme) sont programmés, le cadre confortable d’un hôtel de luxe, une communication tournée vers l’international pour un public à la fois marocain et étranger. Le festival s’installe ensuite pour deux éditions à quelques kilomètres de là, à l’hôtel The Source, où il gagne en intensité et notoriété.
Pour la quatrième édition en septembre 2018, Oasis revient au Fellah et pousse les murs : une troisième scène pour accueillir près de 6000 personnes. « Le festival avait besoin de grandir. Or, on ne veut pas faire du remplissage, on veut qu’Oasis reste une belle expérience humaine, » explique Youssef Bouabid. « Les meilleurs festivals que j’ai faits dans le monde, c’est ceux qui, au-delà de la musique, t’offre une expérience. Qu’est-ce que je vais apprendre ? Qu’est-ce que tu fais quand tu es fatigué ? Comment est la nourriture ? » abonde Marjana Jaidi, rappelant que cette année Oasis a associé à sa programmation musicale une programmation d’artistes plasticiens.
Pour la première fois cette année, et peut-être dans l’histoire d’un festival marocain aussi jeune, Oasis est rentable. La wilaya de Marrakech, qui dépêche des forces de l’ordre pour sécuriser l’évènement, s’en assure aussi avec une réunion de débriefe de sa commission économique à l’issue du festival. Les millions de dirhams de sponsoring de champions nationaux comme OCP, BMCE, Royal Air Maroc ou Maroc Telecom — dont le PDG fait le déplacement en personne à Marrakech pendant le festival — ont aidé, mais ce n’était pas gagné. « Il a fallu oser. On a pris des risques. On a investi beaucoup. Le paiement dématérialisé c’est une technologie qui coute, l’application mobile aussi, les navettes gratuites, une vitalité sur les réseaux sociaux tout au long de l’année et sur plusieurs pays… On ne lésine pas sur les moyens parce qu’on a envie de construire quelque chose sur le long terme, » explique Youssef Bouabid. Pour lui, le premier pari est gagné : « positionner le Maroc sur la carte des festivals électros internationaux et attirer du monde au Maroc ».
Prix : de 1000 à 2250 dirhams pour 3 jours de festivals, mi-septembre
Moga Festival : l’outsider
Miser sur la ville d’Essaouira, l’aura et les mythes qui l’entourent a été le pari de Moga. Plutôt que de s’installer à Marrakech comme Oasis et Atlas, le festival a posé ses ‘platines’ à Mogador. « Après avoir produit les dunes électroniques en Tunisie, nous avions envie d’explorer le Maroc. La ville d’Essaouira s’est imposée à nous comme une ville où la musique avait amplement sa place, » nous confie Benoit Geli fondateur de Panda Events société française productrice du festival. Un choix intéressant, mais le reste peine à faire la différence de ces deux concurents. Après une première édition en 2016, Moga annule l’édition 2017 avant de revenir en 2018.
Cette deuxième édition propose une nouvelle formule : passer l’après-midi au bord de la piscine du Sofitel. Et à partir de 20 h, les festivaliers migrent vers la scène So Lounge Terrasse et puis au club du Sofitel, ambiance boîte de nuit sans âme assurée. Toutefois, Moga festival propose aussi de quitter carrément l’hôtel pour profiter des X-tras : plusieurs spots de la ville associés au Moga pour permettre aux festivaliers d’explorer Essaouira. Bien pensé, mais contraignant. « Je pense que c’est un format original. Le festival est d’abord une pool party, les festivaliers profitent de leur journée dans un beau cadre, mais nous travaillons sans cesse pour améliorer notre offre, » défend Benoit Geli.
Avec un budget de 4 millions de dirhams, le festival n’a toujours pas trouvé l’équilibre financier. Moga se contente dans son budget global d’un 10 % de sponsoring (dont un contrat avec PUMA). La billetterie couvre 70 % et les bars du festival les 20 % restantes. « On s’inscrit dans la durée et on se donne cinq années pour réussir à pérenniser le festival, » répond le fondateur et directeur de Panda Events. « Nous avons l’ambition de faire grandir le festival, d’élargir notre audience et de proposer des expériences musicales et artistiques plus audacieuses, » résume Benoit Geli qui nous confie avoir commencé à travailler sur l’édition 2019 du festival avant même la fin de l’édition 2018.
Prix : de 890 (sans les afters) à 1290 dirhams pour les trois jours, mi-octobre
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