Nous n’avons pas beaucoup de potentiel (dans le pétrole), nous sommes très réalistes. Notre potentiel, c’est le gaz ». À compter du 1er janvier 2019, le Qatar compte se concentrer sur sa production de gaz, au détriment de celle du pétrole. Pour ce faire, l’émirat du Golfe a décidé de se retirer de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), dont il est membre depuis 1961.
L’annonce a été faite le 3 décembre par le ministre qatari de l’Energie, Saad Al-Kaabi, également dirigeant de Qatar Petroleum – compagnie pétrolière nationale du petit émirat. « Le Qatar a décidé de se retirer comme membre de l’Opep avec effet en janvier 2019», a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à Doha, ajoutant que l’organisation en avait été informée préalablement.
La réunion de l’Opep, qui se tient jusqu’au 7 décembre à Vienne et portant sur la stratégie de l’organisation pour 2019, sera donc la dernière du Qatar en tant que membre du club des 15 pays exportateurs d’or noir. Ce retrait, qualifié de « technique et stratégique » par Saad Al-Kaabi, n’a pas manqué de surprendre les observateurs qui y voient une motivation « politique » à la vue du contexte actuel régional. Une perspective à laquelle le Qatar s’oppose bien évidemment, en arguant que son choix n’a aucun rapport avec l’embargo imposé à Doha depuis la rupture des relations diplomatiques en 2017 avec l’Arabie saoudite.
Une raison « économique »…
Premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL), mais 17e exportateur mondial de pétrole brut – dont il détient seulement 2% des réserves mondiales – le Qatar estime viser juste en se canalisant à l’avenir sur sa production de gaz. « Se concentrer sur quelque chose qui ne fait pas partie de votre cœur de métier et qui ne va vous rapporter aucun bénéfice à long terme n’est pas efficace», a justifié le ministre de l’Énergie. Pour rappel, l’émirat avait annoncé en septembre dernier l’augmentation de sa production gazière passant de 77 à 110 millions de tonnes par an d’ici 2024 grâce notamment à l’exploitation d’un champ gazier qu’il partage avec l’Iran.
De son côté, Cheikh Hamad ben Jassem al-Thani, ex-Premier ministre du Qatar, a déclaré sur Twitter que l’Opep n’apportait « plus rien » à son pays et qu’elle était même « devenue inutile ». « Elle est seulement utilisée à des fins qui nuisent à nos intérêts nationaux », pointe-t-il. En prenant la décision de chérir sa première ressource naturelle, le Qatar n’en oubliera pas pour autant sa production de pétrole. « Des partenariats continueront d’être liés, comme avec le Brésil (producteur numéro un en Amérique du Sud, ndlr)« , a indiqué le ministre de l’Énergie.
Alors que les prix du baril sont repartis à la hausse après un mois de novembre où ils avaient atteints leur niveau le plus bas depuis quatre ans, Jean-Pierre Favannec, président de l’association pour le développement de l’énergie en Afrique et professeur à l’IFP Paris, rassure quant aux éventuels impacts sur le marché pétrolier causés par le choix qatari.
Contacté par TelQuel, il explique : « Le retrait du Qatar ne jouera pas un rôle majeur quant à l’évolution du prix du baril à l’échelle mondiale. Il reste un petit producteur. La prochaine réunion de l’Opep, elle, influencera plus lourdement cette variation surtout s’ils décident de diminuer la production de pétrole, ce qui est une méthode classique pour augmenter les recettes des pays de l’Opep, financièrement dépendant de la rente pétrolière ».
Allant dans ce sens, Andreas Krieg, professeur au King’s College de Londres et spécialisé dans l’analyse sécuritaire du Moyen-Orient, examine auprès du média spécialisé dans les énergies Offshore Engineer : « Il y a un sentiment de la part du Qatar que la domination du cartel (Opep, ndrl) dirigé par l’Arabie Saoudite est devenue contre-productive. Le Qatar veut devenir un marché indépendant libre des influences extérieures ».
… teintée de politique
Mais, la raison économique avancée par le Qatar laisse nombre d’observateurs sceptiques. A l’image de Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris, qui voit dans cette décision une manœuvre stratégique : « Faire partie de l’Opep implique des droits, mais également des devoirs, à savoir appliquer les décisions prises par l’Opep (quotas, etc…). L’Arabie Saoudite étant le chef de ce cartel, c’est un moyen de pression de moins que le Qatar choisit d’éliminer. Qui plus est, le Qatar, même s’il est un petit acteur pétrolier de la région, pourra désormais produire autant qu’il le souhaitera ».
Pour Thierry Bros le retrait de l’émirat qatari traduit sa volonté de porter atteinte à son rival du Golf. Toujours auprès de l’Agence de presse française, le chercheur estime que cette démarche intervient dans un moment où le royaume de MBS est « un peu faible », et qu’elle revient donc à « s’opposer à l’Arabie Saoudite ».
D’autant plus, comme il le rappelle, qu’en se retirant de l’Opep, les pays membres restants « ne sont pas non plus de grands amis, comme l’Iran et l’Arabie saoudite ». Ce qui risquerait donc de rendre la gestion de l’Opep – présidée par la monarchie de Salmane ben Abdelaziz Al Saoud – « de plus en plus compliquée ».
A la question de savoir si l’invitation envoyée le 5 décembre par le roi d’Arabie saoudite à l’émir du Qatar au sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG) est le signe d’une timide main tendue, Didier Billion répond : « L’obsession du roi Salmane est celle d’unifier les pays arabes du Golf contre la puissance iranienne. Cette annonce est un bon moyen de les maintenir dans le jeu politique malgré qu’ils soient membres de l’Opep ».