La rupture de stock du Levothyrox déclenche une panique totale. Depuis le début du mois de juillet, plusieurs patients atteints d’hypothyroïdie (carence de l’organisme en hormones thyroïdiennes) ou ayant subi une thyroïdectomie (ablation chirurgicale de la glande thyroïdienne) affirment avoir rencontré des difficultés pour se procurer ce traitement qu’ils doivent impérativement prendre à vie.
“Cela fait quelques jours que je cherche le Levothyrox, en vain. J’ai fait le tour des pharmacies à Rabat, et on m’a confirmé qu’il est actuellement en rupture de stock, alors que ma mère doit le prendre tous les jours”, dénonce une internaute dans un groupe Facebook. Plusieurs autres ont réagi à cette publication parfois pour annoncer avoir “difficilement” trouvé ce médicament, et souvent pour confirmer la rupture de stock.
Mais que risquent les patients en cas d’arrêt du traitement ? “En cas d’arrêt du Levotyrox, le patient risque d’avoir une hypothyroïdie. Dans ce cas, c’est tout le métabolisme qui en est perturbé, d’où l’apparition de multiples symptômes associés à cette baisse du taux de cette hormone dans l’organisme”, nous explique une endocrinologue. Dans le détail, le patient pourrait ressentir “une fatigue intense, une baisse de la température corporelle, une baisse de l’appétit, un ralentissement du rythme cardiaque, des douleurs articulaires et musculaires, ainsi que des troubles de la mémoire et de la concentration”, précise notre source.
Aux sources de la rupture
Souvent taxé de manque de communication, notamment sur les cas de ruptures de stock de médicaments, le ministère de la Santé a, cette fois-ci, réagi à l’alerte des patients. Dans un communiqué diffusé le 16 juillet, le département d’Anass Doukkali confirme cette pénurie qu’il explique par “des difficultés en approvisionnement au niveau mondial dues à la hausse de la demande durant cette année”.
Jamal Taoufik, directeur du médicament et de la pharmacie (DMP) au ministère de la Santé, nous a livré plus de détails. “Le 4 juillet, le laboratoire qui produit ce médicament à l’international (le laboratoire allemand Merck, NDLR.) nous a saisi à travers son représentant au Maroc (la société Cooper Pharma, NDLR.) en précisant que suite à une augmentation de la consommation au niveau mondial, il va y avoir des difficultés d’approvisionnement de tous les pays, y compris le Maroc, d’un seul dosage de Levothyrox, le 200 µg, en l’occurrence”, a-t-il précisé, rappelant que trois autres dosages sont toujours normalement commercialisés sur le marché marocain, à savoir les 25, 50 et 100 µg.
Cette explication est également partagée par les pharmaciens. “Il s’agit d’une rupture mondiale. Les laboratoires Merck, partout dans le monde, ont un problème d’approvisionnement en matières premières. Cela sort donc de la volonté des autorités marocaines, mais aussi du Laboratoire”, fait savoir Mohamed Lahbabi, président de la Confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc (CSPM)
Le président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens (CNOP), Hamza Guedira, confirme: “cette rupture provient d’un problème d’approvisionnement en matière première qui concerne le laboratoire mère. Il est également causé par le changement de la formule du médicament, mais aussi par son petit prix”.
Il poursuit : “Les médicaments à petit prix ont toute la chance de disparaître du marché marocain. Les pouvoirs publics doivent revoir à la hausse le prix de ce genre de médicaments, qui sont irremplaçables, pour maintenir l’attractivité du marché marocain pour les laboratoires étrangers”. Notons que le prix de vente en pharmacie d’une boite de Levothyrox 25 µg est de 6,80 dirhams.
Autre explication pouvant justifier cette rupture de stock, un mouvement de panique. “Quand un patient, avisé de la rupture de stock, se déplace dans une pharmacie et qu’il le trouve, au lieu de prendre une boite, il en prend cinq. Ceci entraîne une cascade et empire la situation des stocks”, explique Jamal Taoufik.
Changement de molécule, un danger pour les Marocains ?
En mars 2017, le laboratoire Merck a modifié la formule du Levothyrox, pour des raisons de stabilité de la molécule, et a mis sur le marché français une nouvelle formule de ce médicament. Cette opération faisait suite à l’avis favorable de l’Agence européenne des médicaments autorisant le laboratoire allemand de lancer cette nouvelle formule dans 21 pays européens. Cependant, dès juillet 2017, des milliers de patients ont commencé à signaler des effets secondaires parfois très invalidants : fatigue, maux de tête, insomnie, vertiges, douleurs articulaires et musculaires et chute de cheveux, rapporte AFP.
Devant cette situation, 4.113 malades de la thyroïde avaient collectivement saisi le laboratoire Merck en justice pour “défaut d’information” autour du changement de formule de son médicament. Ces derniers ont eu gain de cause en mars dernier. Le laboratoire Merck a décidé de poursuivre la mise à disposition de l’ancienne formule de Levothyrox pour les patients français qui disposent d’une ordonnance “tout au long de l’année 2019”, a indiqué Valérie Leto, pharmacienne responsable de Merck France à l’AFP.
Selon la même source, moins de 50.000 boites seront mises à disposition mensuellement. Ceci correspond “aux volumes mis à disposition en 2018” et aux “besoins des patients”, selon la pharmacienne, qui a insisté sur le caractère “transitoire” de cette période “qui doit permettre aux patients de trouver une solution alternative pérenne”.
Si cette affaire explique “l’augmentation de la consommation mondiale du Levothyrox”, le changement de la formule du médicament “ne doit pas faire peur aux Marocains”, rassure Jamal Taoufik. Pour lui, “Le Maroc n’est pas concerné par cette nouvelle formule. Quand un laboratoire veut intégrer un médicament avec une nouvelle formule, il doit adresser un écrit justificatif à la DMP pour avoir une autorisation de mise sur le marché. Jusqu’à ce jour, aucune demande n’a été faite dans ce sens”. Ceci est confirmé par Mohamed Lahbabi, président de la CSPM qui affirme que “seule la première formule du Levothyrox est mise sur le marché marocain”.
Plus de pénurie
Le ministère de la Santé a précisé, dans son communiqué, que la société Cooper Pharma “a assuré qu’il a été procédé à une évaluation des démarches à prendre pour redresser la situation et que leur mise en œuvre est en cours au niveau des différents sites dans le monde, dans le but d’assurer la disponibilité immédiate du médicament”. Le ministère a, pour sa part, réagi dès les premiers instants, en coordination avec le fournisseur, pour contenir cette situation, en facilitant l’accès aux stocks de réserve, précise le communiqué, notant que le Levothyrox fait partie des médicaments soumis à un contrôle rigoureux pour en assurer la disponibilité.
Un responsable à la société Cooper Pharma nous a confié que la mise en circuit du Levothyrox reprendra son cours normal à partir du 20 juillet. Une information confirmée par le DMP. Ce dernier nous apprend également qu’à partir du 16 juillet, le ministère a injecté 300.000 boites de Levothyrox 25, 50 et 100 µg dans le circuit, cette quantité devrait, selon la même source, couvrir les besoins du marché marocain pendant au moins deux mois. “La situation devrait rentrer dans l’ordre très rapidement et dans ce cas, il n’y aura plus de problème, surtout qu’il existe de nouvelles alternatives. Par exemple, un patient qui prend un comprimé de 200 µg par jour, il peut éventuellement prendre deux comprimés de 100 µg”, rassure Jamal Taoufik. Une alternative approuvée par l’endocrinologue contactée par TelQuel, “depuis le début de la rupture, j’ai revu avec mes patients les dosages qu’ils prennent en vue d’éviter les arrêts du traitement”, a-t-elle assuré.
Le directeur du médicament et de la pharmacie au ministère de la Santé précise, en revanche, que toutes les officines ne seront pas alimentées en même temps par le Levothyrox, ce qui pourrait justifier la persistance de la rupture de stock au niveau de quelques villes. Pour lui, cela s’explique par plusieurs facteurs notamment, “le temps de latence entre la mise sur le marché du traitement et sa distribution aux pharmacies. Et puis, une pharmacie qui n’effectue pas de commande du médicament ne sera tout simplement pas alimentée”.