La presse internationale s'accorde sur la persistance des inégalités

En marge des célébrations de l'anniversaire de l'intronisation de Mohammed VI, médias et observateurs étrangers ont braqué leurs projecteurs sur les 20 ans de règne écoulés. Revue de presse exhaustive.

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Le roi Mohammed VI, en mars 2019. Crédit: Alberto Pizzoli/AFP

Ce 30 juillet 2019, le roi Mohammed VI fête les vingt ans de son accession au trône. Alors qu’en 1999, c’est un souverain méconnu que la presse internationale s’efforçait de portraitiser à son accession au trône alaouite, 20 ans plus tard, les médias étrangers ont un peu plus de grain à moudre.

Le Maroc apparaît bel et bien changé. Comme “lancé sur la voie de la modernité et du développement” porté par les “réformes structurelles initiées durant le règne de Mohammed VI”. En apparence seulement, car à en croire les observateurs internationaux, un goût d’inachevé subsiste.

Pour de nombreux titres, le développement humain et social du pays reste mitigé. Constat similaire pour l’ouverture démocratique et l’établissement de l’Etat de droit dans le Royaume. Il en ressort un bilan d’étape qui rappelle celui que la presse étrangère a dressé des 38 années passées par le roi Hassan II à la tête du pays. Tour d’horizon.

Un souverain “discret”, mais présent sur les réseaux sociaux

Le style c’est l’homme”, se plaisait à répéter Hassan II. Et pour décrire le “style” de Mohammed VI, la presse étrangère a trouvé son terme : discret. Dans un article consacré au “mystère Mohammed VI”, Le Monde le présente d’emblée “discret comme un roi scandinave”.

On ne le voit pas tous les soirs au journal télévisé. Il ne donne pas d’entretien à la presse […] souvent plus effacé qu’imposant”, écrit Alain Frachon, directeur éditorial du quotidien français, et ancien correspondant de presse au Moyen-Orient. Si le parallèle avec les royautés scandinaves prête à discussion, la monarchie de Mohammed VI est présentée comme plus “apaisée, feutrée, moins ‘glamour’”.

Si sur la sphère publique et les chaînes de télévision, le souverain se montre discret, c’est parce qu’en parallèle Mohammed VI a su cultiver son image sur les réseaux sociaux. “Jusqu’à peu, pour suivre ce roi, tout l’inverse de son père, souvent à l’étranger, et pas seulement en France pour y recevoir des soins, il fallait aller sur Instagram, écrit Mediapart dans un article coécrit avec le média marocain LeDesk.ma.

Même constat pour le quotidien espagnol El Pais. Lors de ses fréquents voyages à l’étranger, le roi se prête généralement à poser avec les fans marocains sur des photos qui seront ensuite diffusées sur les réseaux sociaux. Cependant, il a donné très peu d’interviews”, signale le journal madrilène. En vingt ans, les sorties médiatiques du roi furent rares, à l’exception d’un entretien avec ce même quotidien ibérique en 2005, ainsi qu’un autre accordé au Times et au Figaro, en 2000 et 2001.

Une constitution et des lacunes

Les médias étrangers se sont également penchés sur l’exercice du pouvoir par Mohammed VI. “Après vingt ans de règne, le système est resté le même, si ce n’est que Mohammed VI a compris dès le début qu’il fallait partager le pouvoir, contrairement à son père”, écrit  Le Figaro. Un partage du pouvoir qui s’est accéléré avec le Mouvement du 20 février en 2011, dans le sillage des “printemps arabes”, et a été marqué par la promulgation d’une nouvelle Constitution.

Le roi s’est attaqué au soulèvement en proposant des réformes constitutionnelles”, rappelle l’agence de presse privée indienne, IANS qui conclut que “le Maroc a fait des progrès sous les vingt ans de règne”. Une réforme que l’on doit, selon Bruno Joubert, ambassadeur de France au Maroc entre 2009 et 2012, à “l’ADN des Alaouites”. Dans les colonnes du quotidien L’Opinion, le diplomate affirme que le Palais a pris “la mesure des attentes de son peuple afin de garantir l’union avec lui, laquelle explique la pérennité de la dynastie”.

Approuvés en 2011, la Constitution et le corpus législatif – dans un cadre plus large – ont leurs limites au point de contribuer à une certaine schizophrénie. Ainsi, Le Monde parle d’une “élégante méthode de contrôle social : beaucoup de choses sont tolérées, mais non protégées par la loi. Autocratie modulée ou démocratie frémissante, le Maroc est un pays où coexistent à la vitrine des librairies le romancier israélien David Grossman et le poète palestinien Mahmoud Darwich, l’Encyclopédie de l’amour en Islam”.

Ces limites sont également reconnues par le pouvoir, comme en témoignent les propos récemment accordés par les conseillers royaux Abdellatif Menouni et Omar Azziman à l’agence de presse AFP. Le premier note la constance de la place centrale du monarque, bien que ce dernier occupe désormais un “périmètre limité: le changement est énorme”.

Le second, s’il évoque encore “des lenteurs”, note que “le changement attendu n’a pas eu lieu, il faut peut-être du temps”. Et de compléter, en réponse à une question portant sur le caractère parlementaire de la monarchie marocaine : “On est dans le trajet d’une monarchie parlementaire (…), mais bien évidemment, il reste peut-être certaines dispositions à perfectionner”.

Au cœur de ces réformes à mener, un souverain que des médias étrangers disent “las” de l’exercice du pouvoir. “Toute la question est de savoir si le roi, qu’on dit parfois las, a encore suffisamment d’énergie pour continuer à réformer son royaume”, se demande Renaud Girard, grand reporter du Figaro, à la fin d’un billet plutôt élogieux sur le bilan du règne. “Le problème des monarchies, c’est qu’à la longue, elles ne reposent toujours que sur un seul homme…”, poursuit-il.

Le “roi des pauvres” ?

Lorsqu’il succède à Hassan II en juillet 1999, Mohammed VI prend les commandes d’un pays lourdement touché par la pauvreté. 19% de la population vit alors sous le seuil de pauvreté et le surnom de “roi des pauvres” dont on affuble alors le souverain témoigne des attentes autour de son règne. Mais au vu du constat de la presse internationale, le développement social et humain du pays fait partie des parents pauvres de sa gouvernance.

Pour El Pais, l’Indice de développement humain “a stagné”, tandis que l’éducation reste “un fardeau” des vingt ans de règne. “Au Maroc, une personne sur trois est analphabète. L’éducation reste la grande question en suspens du règne aux côtés du chômage des jeunes”, peut-on lire dans les colonnes du quotidien madrilène.

Et d’ajouter : “Les jeunes qui n’ont pas rencontré d’autre roi que Mohamed VI sont les grandes victimes d’un pays qui n’offre pas de grandes attentes pour l’avenir”.  Le Figaro se veut lui, plus catégorique : “Sa Majesté a parfois déçu. Chômage des jeunes, analphabétisme, fuite des diplômés, Mohammed VI se demandait enfin, dans un de ses premiers discours (sic – discours prononcé en 2014 après 15 années passées à la tête du pays, NDLR ) où était passé l’argent du Maroc, question restée sans réponse”. 

Un constat que nuance Jeune Afrique qui insiste sur le lancement, en 2005, de l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), “dont il [Mohammed VI] a eu l’idée au cours d’une visite dans un orphelinat de Casablanca”. “Ce programme transversal a fait baisser le niveau de pauvreté générale dans le royaume. Mais le développement humain et la lutte contre les disparités restent des chantiers permanents, tant l’héritage est lourd et les défis sont énormes”, écrit l’hebdomadaire panafricain.

Alors que l’éducation peut être source de développent humain, le site Slate souligne que “la réforme de l’éducation approuvée en 2018 instaure un niveau préscolaire, prolonge à seize ans la scolarité obligatoire et instaure la gratuité de l’enseignement obligatoire”. Une réforme qui, d’après le média, devrait permettre un “redressement” dans un pays où l’analphabétisme concerne près de 30% de la population.

Slate ne mentionne pas pour autant que ladite réforme était tributaire de l’adoption d’une loi-cadre récemment votée par le parlement. Le site d’information oublie également d’indiquer que 65% des chômeurs que compte le Royaume sont des jeunes âgés de 15 à 29 ans.

Un point sur lequel s’exprime en revanche Aymeric Chauprade, longtemps conseiller de Marine Le Pen et auteur du livre  Géopolitique d’un Roi, essai sur un Maroc moderne et multipolaire, paru ce mois. Dans les colonnes de l’hebdomadaire Le Point qui a récemment consacré un dossier de couverture au Royaume intitulé “Le Maroc, la nouvelle puissance”, le géopolitologue déclare : “Bien sûr que le chômage des jeunes est encore massif, que ceux qui travaillent ont encore des salaires trop bas, que la couverture sociale est encore bien trop faible”.

Il ajoute : “Mais posons-nous la question de savoir ce qui est plus scandaleux entre un chômage des jeunes à 25 % dans un pays développé comme la France et un chômage des jeunes à plus de 60 % dans un pays entré très récemment dans la modernisation et la mondialisation”.

Poudrière sociale

Peu importe l’interprétation que l’on peut faire du bilan en termes de développement humain et social, de nombreux médias étrangers abordent aussi la question des “secousses sociales” que vit le pays. “Chaque année, depuis 2016, le pays vit au rythme d’une forte secousse sociale. Du nord au sud, du Rif à Zagora, les laissés-pour-compte d’un développement qui reste trop centré sur la bande côtière atlantique se rebellent”, note Le Monde qui y voit un message clair nuançant l’image de “roi des pauvres”. “Le Maroc est en mal d’investissements massifs dans le social”, observe le quotidien.

“Pour contenir la colère sociale, le royaume a érigé le sécuritaire en mode de gouvernance”, constate Mediapart qui liste une série d’évènements pour illustrer son propos, allant de “la négation de la répression du Rif”au boycott. “Depuis 2011, la situation se dégrade” dans le “pays le plus inégalitaire d’Afrique du nord”, note le média français reprenant le constat de l’ONG OXFAM.

Développement économique

La presse internationale constate toutefois que le Maroc présente certains traits de pays en développement. A titre d’exemple Jeune Afrique mentionne les évolutions dans le transport qui ont permis de réduire “les distances entre Maroc ‘utile’ et Maroc ‘inutile’ […] avec un réseau autoroutier plus étoffé”. Pour l’hebdomadaire basé à Paris, les agglomérations du Royaume “respirent la modernité” et les plans régionaux de développement, fruits d’une “culture de planification et de performance qui est bel et bien en train de s’installer”.

Les attentes ont évolué”, assure à L’Opinion Chakib Benmoussa, ambassadeur du Maroc en France. Euronews, dans son édition internet, note que le Royaume a également “joui du boom économique, porté notamment par le tourisme et les grands travaux”. La chaîne constate par ailleurs  que “le Maroc connaît 4 à 5% de croissance par an depuis l’accession de Mohammed VI au trône. Un peu moins ces dernières années en réalité.

Slate, sous la plume de Daniel Vigneron, résume en trois étapes l’évolution du Maroc en matière de stratégie économique. D’abord, une phase “d’équipement et d’infrastructures” qui a précédé le positionnement du Royaume “comme un exportateur majeur de produits industriels”. Cette seconde étape est illustrée par des ouvertures d’usines automobiles – Renault Tanger et Peugeot Kénitra.

Vient ensuite le développement des échanges à destination du reste du continent africain : “En cinq ans, le pays a triplé ses exportations vers l’Afrique de l’Ouest et investit 3,8 milliards de dollars sur le continent”. Néanmoins, le site estime qu’il est encore difficile de surmonter “les pesanteurs d’une société à dominante agricole structurée par les allégeances familiales”. Une configuration présentée comme “principal frein à une émergence économique rapide du pays

Le Point se montre plus élogieux. “L’ouverture du Maroc à la mondialisation se mesure aussi à l’industrialisation rapide du nord du pays, autour du grand port de Tanger Med, devenu en quelques années le plus important d’Afrique et dont la capacité est en voie de triplement. Mais le ralentissement de l’économie européenne depuis la crise de 2008 a limité les débouchés; la croissance marocaine en a subi le contrecoup”, écrit l’hebdomadaire.

Pour ce dernier, “l’économie marocaine se porterait beaucoup mieux si Rabat et Alger parvenaient à surmonter leur inimitié”, ajoutant qu’en cas d’ouverture de leur frontière, fermée depuis 1994, “les deux pays pourraient gagner au moins un point de PIB supplémentaire chaque année, selon des économistes”. 

Diplomatie, les racines plantées en Afrique

S’il n’échappe pas à de nombreux observateurs que le Maroc a su avancer ses pions dans certaines régions, notamment en se tournant vers le continent, la place du Maroc dans le concert des nations fait l’objet d’analyses contrastées. À ce propos, Mediapart – dont le directeur de publication Edwy Plenel s’était montré critique envers les presque quarante années de régime hassanien – écrit  : “Sur la scène diplomatique, Mohammed VI a fait disparaître le Maroc alors que, sous son père Hassan II, le royaume était un acteur, un arbitre incontournable.

De son côté, le titre catalan El Periodico préfère évoquer un repositionnement diplomatique mené par l’actuel souverain. “Bien que son père, Hassan II, ait envisagé les pays arabes du Golfe avec opportunité, son fils a modifié le cours de la stratégie étrangère et a commencé à tisser avec d’autres pays africains un réseau économique, diplomatique et religieux qui l’a repositionné en tant qu’acteur régional influent”.

Comme témoignage d’ouverture vers le continent, le retour du Maroc au sein de l’Union africaine est très largement souligné par les médias internationaux. “Le retour du Maroc à son siège au sein de l’UA a redonné de la vitalité aux sommets, aux décisions et aux commissions de l’Union africaine et à l’intégration de ses membres”, note le journal électronique mauritanien El Wiam.

L’action marocaine en Afrique est largement évoquée dans les colonnes de l’hebdomadaire La Tribune Afrique qui donne la parole à d’anciens hommes politiques du continent pour commenter cette étape importante du règne de Mohammed VI. Ainsi, le retour au sein de l’UA “a permis au Royaume de jouer un rôle important dans le lancement de la Zone de libre-échange continentale acté le 21 mars 2018 à Kigali et qui suscite tant d’espoirs”, souligne Kabine Komara, ancien Premier ministre de la Guinée.

Pour Moussa Mara, ancien Premier ministre malien, le Maroc – pays fondateur de l’Organisation de l’unité africaine – a vu sa présence économique “renforcée ces quinze dernières années” et, selon lui, “elle porte la marque du souverain chérifien”. “Il est difficile de citer les réussites économiques du souverain marocain, tant elles sont nombreuses et dans la plupart des secteurs”, note-t-il.

Un article bilan du même média constate que Mohammed VI“manœuvre entre ouverture géostratégique et realpolitik dans un monde désormais globalisé”. De son côté, l’agence de presse angolaise ANGOP constate que le Maroc “est devenu un des pays les plus médiatisés du continent africain”.

Sur un autre pan de la diplomatie, la religion, beaucoup d’observateurs ont souligné la continuité du règne du roi Mohammed VI avec celui de son père. “Cette tolérance religieuse ainsi que l’ouverture au monde et le pluralisme culturel impliquent que la politique étrangère de ce pays a toujours milité en faveur de la compréhension mutuelle, de la coexistence et de la coopération par le dialogue interculturel et interreligieux”, note le quotidien colombien El Nuevo Siglo, relevant que “l’égalité et la parité gagnent de plus en plus de terrain en matière de religion au Maroc, contrairement à de nombreux pays arabes et musulmans”.

Une génération a passé depuis l’intronisation de Mohammed VI, mais les commentaires s’accordent avec ceux d’il y a vingt ans. Mohammed VI intrigue toujours autant. Son empreinte ? Une modernisation des infrastructures et conditions structurelle à la bonne marche en avant du Royaume.

Pour autant, si certains éditorialistes regrettaient en 1999 les difficultés du Maroc à s’ériger en “dragon méditerranéen”, le constat reste le même deux décennies plus tard. Sur le plan social, Mohammed VI aurait même “déçu”.

Aussi, malgré des initiatives pour abolir un lourd héritage du passé, le Maroc reste une “poudrière” pour nombre d’observateurs, qui citent à l’envi les chants populaires des supporters de football, écornant au passage l’image de stabilité que le Maroc s’est efforcé de se façonner.