Libérer les jeunes”. C’est le titre de la tribune, parvenue à TelQuel, de la présidente du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), Amina Bouayach. Une réponse aux vives réactions suscitées par ses déclarations à l’agence espagnole EFE. L’ex-ambassadrice en Suède y niait l’existence de “prisonniers politiques” au Maroc. Des propos rejetés en bloc par la société civile.
Bien qu’elle note la “fragmentation de [ses] propos et leur dé-contextualisation”, Amina Bouayach souligne néanmoins dans sa tribune que “la crispation politique et la confusion qui ont dominé la discussion ont éclipsé la complexité de la question ‘Qu’est-ce qu’un détenu politique ?’, une question quasi existentielle à laquelle chaque Nation se doit de répondre au moins une fois dans son histoire”.
En relevant l’absence de “définition communément reconnue” du terme “prisonnier politique”, la présidente du CNDH rappelle les définitions proposées par Amnesty International et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Des définitions qui, soutient-elle, “relèvent, néanmoins, une notion capitale dans la qualification de ‘prisonnier politique’ : celle de la motivation politique”.
Pour Amina Bouayach, la notion de “prisonnier politique” est encore moins difficile à déterminer que celle de “motivation politique”. Comprendre : “une action est politiquement motivée s’il est possible d’affirmer, hors de tout doute raisonnable, qu’elle a été menée afin de servir les intérêts d’une entité politique”, définit celle qui voit dans cette notion “une condition sine qua non pour commencer à parler de détention politique”.
La nuance est “fine, mais capitale”, aux yeux de la présidente du CNDH. Ainsi, elle laisse entendre que “l’éventualité que les arrestations lors des événements d’Al Hoceima ou de Jerada soient politiquement motivées est indéniable”. Pourtant, poursuit-elle, “si une partie de la communauté nationale des défenseurs des droits de l’Homme peut qualifier les arrestations survenues lors des événements d’Al Hoceima ou de Jerada comme étant ‘politiquement motivées’, il ne serait, toutefois, ni juste ni précis de soutenir cette assertion au-delà de tout doute raisonnable et de ne pas accepter de la mettre en question, compte tenu de la durée des manifestations et de leurs circonstances”.
La violence confrontée au droit international
Dans sa tribune, Amina Bouyach ne tranche donc pas cette question, laquelle, dit-elle, “quoi qu’il en soit, est subordonnée à une autre, supérieure, celle de la violence”. Une question soulevée au regard du droit international, tant la “complexité des événements d’Al Hoceima et de Jerada, découle du fait que l’utilisation de la violence prévaut sur toute autre qualification basée sur la notion de ‘motivation politique’”.
En rappelant que l’institution qu’elle dirige avait appelé le 12 juillet dernier à “autoriser les nouvelles formes d’expression publiques, dont les réseaux sociaux sont devenus dépositaires”, l’ex-présidente de l’Organisation marocaine des droits de l’Homme (OMDH) explique que ce mémorandum “n’a pas traité la question des manifestations violentes, car dans ce cas-là, des considérations autres que celles des droits d’expression, d’association […] et de manifestation, entrent également en jeu”. Elle, qui partage l’opinion selon laquelle “la perpétration d’actes entachés de violence précède la notion de ‘motivation politique’ d’une arrestation, et l’emporte sur elle”. “Dès que les faits inculpés peuvent être caractérisés comme “violents”, la notion de “motivation politique” devient secondaire, nonobstant les cas d’autodéfense et de nécessité, de même pour les violences commises dans le cadre de crimes de haine ou d’incitation à la violence”, insiste-t-elle.
A la tête d’une institution “constitutionnelle nationale avec trois missions fondamentales de Prévention des violations, de Protection et de Promotion des Droits de l’Homme”, Amina Bouayach rappelle que le Conseil a “observé et suivi, dans le cadre de ses missions les manifestations durant plusieurs semaines”.
“Les jeunes arrêtés lors des évènements de Al Hoceima et de Jerada auraient-ils remplis les critères de ‘détenus politiques’ comme nous les avons définis, le travail du CNDH en aurait été plus évident et même plus simple”, explique celle qui “aurait appelé, sans hésitation ni équivoque aucunes, à la libération immédiate des détenus, et à leur dédommagement ; et ce en application de l’article 23 de la Constitution et de l’Article 9(5) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; et non à leur grâce (article 58 de la Constitution)”. Et de préciser : “Ces critères n’étant pas remplis, l’utilisation de la qualification de “détenu politique» par le CNDH, dans le cas présent, aurait été erronée, contre-productive et irresponsable, et aurait constitué une dérogation au niveau national et au niveau international”.
Toujours dans sa tribune, la présidente du CNDH qualifie “personnellement” les jeunes détenus de “victimes d’un fonctionnement défaillant, qui peine à garantir les droits économiques et sociaux de ses citoyens ; à leur en assurer une vie digne et répondre à leurs revendications légitimes”. Un manquement qu’elle qualifie de “crise de performance”, ayant débouché sur une “réelle ‘crise de confiance’”.
Concernant les détenus du Hirak rifain, Amina Bouayach affirme que lors de ses rencontres avec les familles des détenus, “une revendication fondamentale revenait à la bouche de chaque mère, chaque père, chaque sœur, chaque épouse : Libérez les jeunes !” Ainsi, de par “les circonstances exceptionnelles et dramatiques des événements qui ont conduit à leur arrestation, et les conditions humaines difficiles que vivent les familles”, le CNDH “continuera de les soutenir selon la même démarche d’écoute, d’empathie et de considération, avec la même rigueur et le même sens du devoir et du dévouement”, assure sa présidente.
Aussi, poursuit-elle, le rapport tant attendu que le “CNDH publiera après discussion lors de son Assemblée générale, tout juste installée”, traitera “des conditions de déroulement des arrestations et des procès, ainsi que des allégations de torture et de mauvais traitement”. Une occasion de faire “le bilan complet de ces événements dramatiques qui ont, à jamais, marqué notre pays, fortement divisé les Marocains, et provoqué de profondes plaies dans notre mémoire commune”. D’ici là, Amina Bouayach assure que “le temps est donc venu de commencer à panser ces plaies”.