Azzeddine Ibrahimi : “Le Maroc doit ériger la recherche scientifique en priorité nationale”

Dans un entretien accordé à TelQuel Arabi, Azzeddine Ibrahimi, professeur de biotechnologie à la faculté de médecine et de pharmacie de Rabat évoque la situation de la recherche scientifique au Maroc et se confie sur le travail qu’il accomplit avec son équipe sur le front de la lutte contre la pandémie.

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Le directeur du laboratoire de biotechnologie de la faculté de médecine et de pharmacie de Rabat, Azzeddine Ibrahimi

Azzeddine Ibrahimi est le directeur du centre de recherche BioInova, le chef du laboratoire de biotechnologie de la faculté de médecine de Rabat et professeur de biotechnologie médicale à l’université Mohammed V Rabat. Diplômé du Centre de biochimie de l’Université de Nice-Sophia Antipolis, il a ensuite intégré le Centre des sciences de la santé de l’État de New York à Stony Brook, aux États-Unis. Après avoir rejoint le corps professoral en 1999, il y enseignera pendant dix ans.

De retour au Maroc, il a fondé le laboratoire de biotechnologie de la faculté de médecine de Rabat, dont il est le chef de département. Il s’intéresse à l’utilisation des outils moléculaires et des approches génomiques dans différents domaines, en particulier en pédiatrie et dans le domaine du cancer, et a obtenu des subventions de nombreuses fondations. Dans cet entretien, initialement accordé à TelQuel Arabi, Azzeddine Ibrahimi évoque la réalité de la recherche scientifique au Maroc et se confie sur le travail accompli avec son équipe sur le front la pandémie.

Pourriez-vous présenter votre laboratoire aux lecteurs de TelQuel Arabi ?

Azzeddine Ibrahimi : Le laboratoire travaille depuis deux ans afin d’intégrer les nouveaux matériaux médicaux dans la recherche au Maroc. Nous intégrons l’intelligence artificielle dans le secteur de la santé. Après deux années acharnées de travail, nous avons pu déchiffrer les génomes complets de plusieurs bactéries et virus. Nos trouvailles ont fait l’objet de publications dans des revues scientifiques spécialisées. Nous avons également entrepris plusieurs recherches afin de réviser les notices et consignes d’utilisation de plusieurs médicaments communément utilisés dans le traitement d’un bon nombre de maladies.

Parlez-nous de l’équipe avec laquelle vous collaborez ?

En réalité, nous avons deux équipes distinctes. La première travaille dans le laboratoire de biotechnologie de la faculté de médecine et pharmacie de Rabat. Cette équipe comprend un nombre important de professeurs chercheurs dans plusieurs spécialités de la médecine, de la chirurgie et des sciences exactes.  Nous avons également créé un centre dans l’université qui comprend une centaine membres, dont des professeurs, des étudiants chercheurs dans des spécialités diverses, car la recherche en médecine nécessite l’interdisciplinarité.

Que faites-vous sur le front de la bataille contre le Covid-19 ?

Nous avons tenté d’identifier des médicaments disponibles sur le marché marocain et susceptibles d’être utilisés pour faire face au virus. Il s’agit essentiellement de simulations par ordinateurs qui permettront ensuite des essais cliniques. Le but est d’économiser du temps et de l’énergie, car la recherche et le développement d’un nouveau médicament est un processus long. Nous ne sommes qu’au début de nos travaux.

Allez-vous faire des essais cliniques ?

Soyons clairs, au Maroc, les essais cliniques font face à des problèmes de deux types. Le premier étant de nature légale, étant donné que la pratique n’est pas réglementée par la loi. En second lieu, les essais cliniques coûtent beaucoup d’argent et peu de compagnies sont réellement capables de les mener. Voilà pourquoi, il est juste important pour nous sur le court terme de mettre le Maroc dans une perspective de recherche scientifique. Sur le moyen et long terme, nous espérons que le royaume soit reconnu pour la recherche scientifique sur le plan international.

À quoi donc vont servir vos recherches ?

Nous espérons que des compagnies marocaines et étrangères puissent profiter des recherches que nous menons. Nous faisons la lecture de plus de 3000 génomes des génomes du nouveau coronavirus. Nous faisons une comparaison de ses propriétés avec le reste des coronavirus afin de voir s’il a évolué.

Nous étudions la possibilité d’un diagnostic par échographie, vu que c’est une méthode d’exploration médicale généralisée dans le pays. Cela pourra nous permettre de réaliser un nombre plus important de tests.Nous travaillons également à la conception d’un site web qui évalue la probabilité d’avoir contracté le virus en répondant à plusieurs questions.

Les algorithmes de l’ordinateur pourront évaluer la situation de la personne concernée et lui délivrer des conseils selon ses réponses. On pourra dès lors indiquer au patient s’il n’est pas porteur du virus ou lui conseiller de prendre rendez-vous avec un médecin. Ce site permettra d’alléger la charge sur les établissements de santé, vu que seules les personnes potentiellement touchées par la maladie seront dirigées vers les hôpitaux.

Avez-vous étudié le génome des personnes atteintes du virus au Maroc ?

Malheureusement, nous n’avons pas encore reçu des échantillons de personnes atteintes du nouveau coronavirus au Maroc. Nous espérons les avoir le plus tôt possible afin d’établir une comparaison entre les propriétés du virus qui se trouve au Maroc et celles de celui qui s’est propagé dans le reste du monde. Cela nous permettra de relever les différences et de sélectionner les médicaments à utiliser. C’est une opération que nous sommes en mesure de réaliser vu que nous disposons des outils nécessaires. Je pense que nous pourrons le faire prochainement.

Qu’avez-vous conclu en étudiant le génome du nouveau coronavirus ?

Nous avons suivi l’évolution de ce virus à partir d’une banque de données internationales. C’est un virus qui n’évolue pas beaucoup. Nous travaillons également à déterminer si c’est un virus qui résiste à la chaleur et s’il est saisonnier.

Le port obligatoire du masque permettra-t-il, selon vous, de limiter la propagation du virus ?

La propagation du virus est différente dans les pays qui ont imposé le port du masque. Je pense que le Maroc a pris une bonne décision. D’ailleurs, toutes les décisions qui ont été prises jusqu’à maintenant servent l’intérêt du citoyen marocain.

En réalité, le masque ne protège pas celui qui le porte, mais celui qui est face à lui. Si nous protégeons collectivement les autres, nous sommes en train de nous protéger.

Que doivent faire les Marocains afin d’éviter la propagation du virus ?

Je pense que l’État a pris plusieurs mesures d’anticipation pour limiter la propagation du virus. Je pense notamment à la fermeture des frontières, la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, la généralisation du port du masque. Le décès d’un Marocain est une perte pour toute la nation. C’est un dommage que nous pouvons éviter en respectant les mesures qui ont été prises.

Respecter la quarantaine nous permet d’éviter les décès et de gagner du temps. Si nous évitons l’augmentation du nombre de cas, il devient possible pour nous d’apprendre des expériences des autres pays et d’utiliser des nouvelles technologies pour faire face au virus.

Que manque-t-il au Maroc dans le domaine de la santé ?

Le Maroc doit ériger la recherche scientifique en priorité nationale. Peut-être que c’est par chance que nous ne faisons pas face à cette pandémie seuls. Le monde entier planche actuellement sur des solutions. Si nous faisons face à une crise locale, nous aurions dû la gérer seuls.

Je souhaite également qu’on encourage les étudiants chercheurs, qu’on dédie des fonds importants à la recherche scientifique. Ces fonds devraient être spécifiquement dédiés à la recherche scientifique et ne dépendre d’aucun secteur.