Le retour en force du plastique, dommage collatéral de la pandémie

La principale préoccupation mondiale aujourd’hui est évidemment de vaincre le Covid-19, afin d’éviter de nouveaux morts et de nouvelles contagions. Une fois l’objectif atteint, la crise économique résultant de la pandémie sera le sujet le plus pressant. Et la question environnementale est relayée au second plan.

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Pour des raisons d’hygiène et de santé, il est impossible d’interdire le recours aux plastiques à usage unique pendant l’état d’urgence sanitaire. Au risque de devoir faire face à un problème environnemental majeur. Crédit: Unsplash

L’arrêt brutal des activités économiques provoqué par le confinement mondial a provoqué quelques évolutions positives sur le plan environnemental : l’assainissement de la couche d’ozone et l’amélioration de la qualité de l’air et des eaux. Mais nous avons également observé une croissance dans la production et la consommation de matériel plastique à usage unique. Cette hausse se traduit dans l’usage hospitalier et domestique, et va probablement continuer à s’accentuer à mesure que nous avancerons dans le déconfinement des citoyens.

N’oublions pas que la pollution plastique constitue l’une des principales menaces environnementales de la planète, selon le dernier rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), publié en 2019.

Le plastique à l’hôpital

Le plastique apparaît indispensable dans les équipements de protection individuelle dédiés au personnel soignant. Les masques qu’ils utilisent, les dénommés FFP, contiennent un matériau filtrant constitué d’un enchevêtrement de fibres plastiques qui retient les virus.

Outre les masques et les gants, les blouses imperméables, les lunettes, visières et écrans protecteurs pour le visage sont également faits de plastique. Mais ce dernier est également présent dans de nombres objets du matériel médical, comme les respirateurs et les ventilateurs, les seringues de polycarbone, les tubes médicaux en PVC, les poches de sang…

Un médecin surveillant un patient touché par le coronavirus, dans un hôpital de Wuhan le 24 février.Crédit: STR/AFP/China OUT

Du fait de la pandémie, le volume de déchets hospitaliers a augmenté de façon exponentielle. Dans les Asturies, en Espagne, ils ont par exemple été multipliés par quatre et sont évalués à 185 tonnes sur le seul mois d’avril. À ces déchets hospitaliers s’ajoutent ceux générés dans les Ehpad et résidences pour personnes âgées. À Valence, toujours en Espagne, 134 tonnes de déchets issues de 20 de ces établissements ont été récupérées en moins d’un mois.

L’Italie a estimé qu’elle aurait besoin de 90 millions de masques par mois

Tous ces résidus ne sont pas recyclables, ils sont donc voués à la décharge ou à l’incinération. Désormais, le problème réside dans les installations de traitement thermique des déchets hospitaliers qui commencent à saturer. Dans les Asturies, ces traitements thermiques ont bondi de 307 %. Dans d’autres communes comme Madrid, il a été décidé de détourner une partie de ces déchets vers des installations de traitement des déchets solides urbains. Dans l’incinérateur de Valdemingómez, plus de 90 tonnes de déchets sanitaires ont été traitées depuis le début du mois d’avril.

Nous devons nous interroger sur le risque environnemental de ces procédés. Si les conditions optimales pour l’incinération de déchets à forte teneur en plastique ne sont pas réunies, des émissions de composés cancérigènes tels que les dioxines et les furannes pourraient être générées.

Plastique domestique

La vente de masques grand public commence à se généraliser, et nous serons probablement obligés d’en porter dans les transports en commun au cours des prochaines semaines et des prochains mois. Dans le monde entier, des millions de personnes portent des masques en plastique à usage unique. L’Italie a estimé qu’elle aurait besoin de 90 millions de masques par mois.

Malheureusement, nous commençons déjà à en voir flottant sur les plages dans l’archipel de Soko, situé entre Hongkong et Lantau, ce qui révèle une mauvaise gestion de ces déchets.

Lors d’une récente inspection des îles de Soko, l’équipe de Oceans-Asia a trouvé des masques chirurgicaux sur les plages.

Lorsque nous sortons dans la rue, nous utilisons d’autres objets en plastique à usage unique, comme les gants, les gels hydroalcooliques ou les lingettes désinfectantes. Après avoir été utilisés, ces équipements vont à la poubelle sans pouvoir être recyclés.

Toute la matière plastique est jetée, surtout quand on sait que le coronavirus peut rester sur le plastique pendant 2 à 3 jours

La pandémie de Covid-19 a également intensifié la consommation d’autres plastiques jetables, comme les poches, les bouteilles d’eau, les emballages pour la livraison à domicile de nourriture ou de commerce en ligne. Un rapport d’Ecoembes signale que depuis le début de l’état d’urgence en Espagne, la collecte de déchets a augmenté de 15 % dans les poubelles jaunes. Cette augmentation s’explique par la hausse de la consommation au sein des foyers du fait du confinement.

La pandémie modifie beaucoup de nos habitudes quotidiennes. Nous préférons désormais acheter dans les grandes surfaces, où tout se vend plus emballé, afin de tout acheter dans le même supermarché. Nous optons aussi davantage pour des sacs jetables plutôt que réutilisables, par crainte qu’ils aient été contaminés. Toute la matière plastique est jetée, surtout quand on sait que le coronavirus peut rester sur le plastique pendant deux à trois jours.

Nouveaux usages du plastique

Maintenant que plusieurs pays entrent dans une phase de déconfinement progressif, les différents espaces publics se préparent pour limiter le contact entre les personnes et maintenir les distances de sécurité. Le recours à des écrans protecteurs se développe pour fournir une barrière physique entre client et travailleurs. Ces vitres ont déjà été installées dans les pharmacies et les supermarchés, et leur usage pourrait s’étendre aux avions et aux bars et restaurants (dans des pays qui les rouvrent déjà).

Des lycéens reprennent les cours, séparés les uns des autres par des parois de plexiglas, le 6 mai à Wuhan, en Chine.Crédit: AFP/STR

L’entreprise italienne Nuova Neon Group a même conçu des cabines pour maintenir les distances de sécurité sur les plages. Elles ressemblent à celles utilisées dans les hôpitaux de campagne créés dans certains pays pour pallier la saturation du système sanitaire.

Ces écrans et ces cabines sont fabriqués avec du méthacrylate, connu aussi sous le nom de plexiglas. Ce matériau plastique transparent, incassable, flexible et résistant est issu du propylène, un des produits provenant du pétrole raffiné. Comme toute matière plastique, l’emploi du méthacrylate implique différents additifs chimiques tels que les retardateurs de flamme ou les filtres solaires.

Nous devrons être capables de gérer ces matériaux correctement

En ce qui concerne les retardateurs de flamme, ces composés sont ajoutés pour diminuer l’inflammabilité du matériau. Ce sont des contaminants très persistants dans l’environnement qui s’accumulent dans les organismes vivants et peuvent avoir sur eux, y compris sur les personnes, des effets nocifs tels que des dommages neurologiques, des perturbations endocriniennes ou des cancers.

Les filtres solaires contiennent de leur côté des substances, parmi lesquelles les benzotriazoles, qui s’appliquent comme des protections contre la radiation UV. Ils sont également très mauvais pour la santé et agissent comme des perturbateurs endocriniens.

Ces vitres et ces cabines ont une durée de vie d’une dizaine d’années. Mais en réalité, ce matériel sera délaissé une fois la crise sanitaire passée, générant une grande quantité de déchets plastiques. Nous devrons être capables de les gérer correctement, en évitant qu’ils engendrent des dégâts environnementaux sur les écosystèmes terrestres et aquatiques.

Un pas en arrière dans la réduction du plastique ?

Jusqu’à l’arrivée de la pandémie, l’année 2021 apparaissait cruciale dans la lutte contre l’utilisation abusive du plastique. Surtout ceux à usage unique, qui devraient être interdits dans l’Union européenne. Ainsi, le 6 mars dernier, la France signait le Pacte plastique européen, une initiative dont l’objectif est de réduire ses usages superflus.

Il est ironique de constater qu’avant la crise, la société avait pris conscience des problèmes environnementaux induits par le plastique. La nécessité de contenir la propagation du virus a toutefois provoqué sa réémergence comme matériau indispensable.

Regardons par ailleurs l’aspect économique. Les prix du pétrole extrêmement bas permettent de fabriquer beaucoup de plastique à un prix dérisoire. Certains parlementaires européens ainsi que certains lobbies industriels, entre autres les transformateurs de plastique, sollicitent un relâchement des standards environnementaux afin de les aider à se relever économiquement. Ils demandent ainsi que soit retardée d’au moins un an la mise en place de la Directive plastiques et que soient levées des interdictions sur certains articles à usage unique.

Pour des raisons d’hygiène et de santé, il est évidemment impossible d’interdire le recours aux plastiques à usage unique pendant l’état d’urgence sanitaire. Mais il est essentiel d’éviter qu’une fois la crise résolue émerge un problème environnemental majeur.

Il devient urgent de développer des matériaux alternatifs aux plastiques, plus biodégradables et plus recyclables, et d’avancer dans la conception d’additifs chimiques moins polluants. Si nous disposions aujourd’hui de telles solutions, l’explosion actuelle de l’usage du plastique n’affecterait pas aussi négativement l’environnement.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Voici l’article original, signé Ethel Eljarrat, Investigadora Científica del Departamento de Química Ambiental, Instituto de Diagnóstico Ambiental y Estudios del Agua (IDAEA – CSIC)