Non, Bill Gates ne compte pas implanter une puce électronique à la population

Parmi les nombreuses théories et rumeurs visant le milliardaire Bill Gates, beaucoup affirment que le co-fondateur de Microsoft veut profiter de l’épidémie de Covid-19 pour implanter des “puces” électroniques via des vaccins, afin de “marquer” et géolocaliser la population et la contrôler. Une affirmation très relayée, avec des variantes, mais infondée : Bill Gates n’a rien évoqué de tel et les publications mélangent des sujets différents. 

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Bill Gates, fondateur de Microsoft, le 9 octobre 2019, au cours d’une conférence en France. Crédit: JEFF PACHOUD/AFP

Le célèbre milliardaire américain est depuis longtemps la cible favorite des complotistes, avec un regain certain depuis le début de la pandémie. Le cofondateur de Microsoft devenu philanthrope est une “sorte de poupée vaudou dans laquelle les complotistes de tous bords plantent” — telles des aiguilles — “leurs différentes théories”, explique à l’AFP Rory Smith, directeur de recherche chez First Draft, réseau de médias qui mène des projets contre la désinformation.

Un “épouvantail”, abonde Whitney Philips, de l’Université américaine de Syracuse, à propos du milliardaire américain, engagé depuis 20 ans via la Fondation Gates dans des campagnes de vaccination et la lutte contre les épidémies. Une vidéo en anglais l’accusant, entre autres, de vouloir “éliminer 15 % de la population” via les vaccins et de greffer des puces électroniques aux gens, a, à elle seule, cumulé près de deux millions de vues sur YouTube en moins de deux mois.

Ces allégations ont “explosé” entre janvier et avril, note Rory Smith, au point que, selon le New York Times, la désinformation en anglais visant Bill Gates est désormais la plus virale de toutes les infox relatives au Covid-19, qui a fait plus de 300.000 morts dans le monde.

“Nous sachons”

Présentes dans le monde entier et de nombreuses langues, on les retrouve sur Facebook, Twitter, Instagram, WhatsApp, ou sur les forums 4chan, Reddit…  Avec des citations et vidéos détournées, décontextualisées, des photomontages, des raccourcis mensongers, ces publications l’accusent de vouloir donner un vaccin empoisonné aux Africains, d’avoir paralysé des centaines de milliers d’enfants, de posséder l’OMS, d’utiliser notre cerveau pour créer des cryptomonnaies ou même… d’être sataniste.

Ces publications l’accusent de vouloir donner un vaccin empoisonné aux Africains, d’avoir paralysé des centaines de milliers d’enfants, d’être sataniste…

Si beaucoup circulaient déjà avant la pandémie du nouveau coronavirus, les allégations visant Bill Gates ont un point commun : l’accuser de vouloir tirer profit de la pandémie, telle la figure du “profiteur de guerre” : asservir le monde ou s’enrichir en vendant des vaccins. “Ces théories (…) peuvent réduire la confiance des gens dans les organisations de santé et faire baisser les taux de vaccination, c’est inquiétant”, poursuit Rory Smith.

Parmi les théories très en vogue : il a créé le virus. La “preuve” ? Il en détient le “brevet” et avait “prévu l’épidémie” dans une conférence en 2015. En réalité ? Un institut de recherche, qui avait reçu des fonds de la Fondation Gates, avait déposé un brevet qui concernait un coronavirus animal. Et comme une partie de la communauté scientifique, Bill Gates s’était déjà exprimé ces dernières années pour s’alarmer de la probabilité d’une pandémie à venir.

Schématiquement, sa richesse et le fait qu’il est une figure des géants technologiques en fait quelqu’un de “forcément suspect” à l’extrême gauche, tandis que son côté figure internationale influente en fait une incarnation du “cosmopolitisme” honni par l’extrême droite, explique à l’AFP Sylvain Delouvée, chercheur en psychologie sociale à l’Université de Rennes, en France.

La Fondation Gates a pu faire l’objet de critiques sur un manque de transparence de sa gestion ou sur ses choix de financements

Pour autant, démonter les fausses affirmations, ça ne “revient pas à expliquer que tout le monde est gentil”, dit-il encore, rappelant qu’il peut y avoir des interrogations étayées et légitimes sur l’usage des données personnelles par les groupes technologiques ou des gouvernements par exemple.

De plus, la Fondation a pu faire l’objet de critiques sur un manque de transparence de sa gestion ou sur ses choix de financements, dans la revue scientifique prestigieuse The Lancet par exemple.

Fact-checking : Bill Gates veut-il pucer l’humanité ?

La théorie affirmant que Bill Gates prône un système de “puçage” électronique est très virale, en général assortie d’autres assertions non fondées. Par exemple, ce texte, partagé plus de 4.500 fois depuis le 27 avril sur Facebook selon l’outil de mesure d’audience CrowdTangle, qui affirme que “Bill Gates, au travers de sa fondation, a pour objectif de pucer l’humanité, grâce aux vaccins, afin de mieux contrôler les populations”.

On la retrouve aussi ici, ici ou  en français. On retrouve ici sur un site religieux “La Voix de Dieu” un texte et une vidéo contenant un cocktail de fausses affirmations visant Bill Gates, dont le “puçage” de l’humanité”. Cette page du site, datée du 1er mars 2020, a cumulé près de 9.000 partages depuis.

On retrouve dans ce tweet en anglais partagé près de 7.000 fois depuis le 6 avril l’idée de l’utilisation par Bill Gates des “vaccins pour tracer les gens”. Un texte titré “Bill Gates va utiliser des implants électroniques pour combattre le coronavirus” sur le site biohack.info a quant à lui été partagé près de 15.000 fois depuis le 19 mars selon CrowdTangle.

Cette vidéo sur YouTube, basée sur le texte ci-dessous, accompagnée d’accusations concernant une volonté de Bill Gates de faire baisser la population mondiale, a cumulé plus de 1,9 million de vues depuis le 21 mars, selon le compteur de la plateforme vidéo. On retrouve ici cette idée en espagnol avec en plus la théorie d’une “puce contraceptive”. 

L’accusation de vouloir réduire la population, très fréquente, — et qui repose sur des citations déformées du milliardaire, comme expliqué ici par Les Décodeurs du Monde —, a fait aussi l’objet de ce montage photo récent, comme expliqué ici par l’AFP. Le site américain de vérification Snopes avait expliqué dès 2017 que Bill Gates n’avait jamais dit que les vaccins servaient à réduire la population.

Marquages, puce électronique, implants : confusions et raccourcis

Comme d’autres publications circulant sur internet, ce texte titré “Covid-19 : Bill Gates propose à l’OMS des vaccins avec des puces RFID” fonde une partie de ses allégations sur la notion de “certificat numérique” utilisée le milliardaire américain, notamment ici, dans ce forum de discussion sur la plateforme Reddit, où les internautes étaient invités à lui poser des questions.

Pour l’auteur de la publication, “les ‘certificats numériques’ auxquels Gates fait référence sont des TATOUAGES QUANTUM-DO sur lesquels les chercheurs du MIT et de l’Université Rice travaillent en vue d’établir et de tenir des registres de vaccination”. 

On retrouve cette idée dans ce tweet :

Mais toutes ces publications mélangent des choses différentes, qui en tout état de cause n’impliquent pas l’implantation d’une puce dans le corps. Concernant les “certificats numériques” cités par Bill Gates sur Reddit en mars, il répond à une question sur ce qui, selon lui, pourrait aider à maintenir l’activité malgré la pandémie. “In fine, nous aurons des sortes de certificats numériques pour montrer qui a guéri ou été testé récemment ou, quand nous aurons un vaccin, qui l’a reçu”, dit l’ex-patron de Microsoft. On retrouve aussi ces échanges ici sur le blog de Bill Gates.

L’AFP a demandé à la Fondation Gates ce à quoi il faisait référence dans cette phrase. “La référence à des ‘certificats numériques’ concerne la création possible d’une plateforme numérique en ‘open source’ (dont le code informatique est disponible à tout le monde, ndlr) dans le but d’étendre l’accès à un test (Covid-19, ndlr) à domicile qui soit sécurisé”, a répondu Dan Wattendorf, directeur des solutions technologiques innovantes de la Fondation Gates dans un mail à l’AFP le 6 mai.

En sécurité informatique, un certificat numérique est une sorte de signature électronique virtuelle qui atteste de l’authenticité d’un site web, comme on peut le lire par exemple sur ce site spécialisé. Par exemple, si je me connecte au site Internet de ma banque pour consulter mes comptes bancaires, le serveur de la banque envoie un “certificat numérique” qui atteste qu’il s’agit du bon serveur et non de celui de pirates informatiques. En tout état de cause, Bill Gates ne parle pas de puce ou d’implant électronique.

Amalgame entre “certificats numériques” et “tatouages quantum-dot”

Ce sont des choses qui n’ont rien à voir, et ni l’une ni l’autre ne sont des dispositifs de traçage ou de géolocalisation. Elles ne supposent pas non plus l’introduction d’un dispositif électronique dans le corps.

Comme expliqué dans cette étude de fin 2019des chercheurs affirment avoir inventé des nano-particules injectables sous la peau, créant comme une sorte de “tatouage” qui est« invisible à l’œil nu, mais lisible avec des smartphones spéciaux” et une lumière proche de l’infrarouge. Ils proposent ainsi une manière “d’encoder son historique médical sur un patient en utilisant (…) des quantum-dots (“boîtes” ou “points” quantiques en français, ndlr) dans le derme”.

“Après avoir été appliquées sur la peau pendant deux minutes, les microaiguilles se dissolvent et laissent sous la peau les petits points, répartis par exemple en forme de cercle ou bien d’une croix. Ces petits points sont excités par une partie du spectre lumineux invisible pour nous, proche de l’infrarouge”, explique cette dépêche de l’AFP. Et c’est cette forme — cercle ou croix — qui serait lue par le smartphone.

Il est possible ou non d’injecter un vaccin par la même occasion, expliquent les chercheurs, de l’Université américaine de Rice et du MIT. Le but de cette technologie est potentiellement de permettre la tenue de registres de vaccination, par exemple dans les pays en développement où ce type de données peut manquer, et/ou d’améliorer les campagnes de vaccination.

L’un des auteurs, Kevin McHugh, de Rice University, a indiqué au site américain de vérification Factcheck.org, qu’il n’y “a aucune possibilité de tracer les mouvements de quelqu’un” avec. “Cette technologie est seulement capable de fournir des données très limitées de façon locale. Ces marques exigent d’être lues à une distance de moins de 30 cm”, ajoute le chercheur.

En outre, cela n’a rien à voir avec la technologie sans contact RFID, qui suppose des ondes radio. Basées elles aussi en partie sur cette technologie des “quantum-dots”, des publications affirmant que Bill Gates veut tatouer les gens à la façon des marques apposées sur les prisonniers des camps de concentration nazis ont été démontées par l’AFP ici.

Outre le fait que cette technologie n’est pour le moment qu’à l’état de recherches et qu’il ne s’agit pas d’implanter quoi que ce soit ni de géolocaliser les populations, il nous reste à tenter de trouver une relation entre ces “quantum-dot tatoos” et Bill Gates. On la trouve ici sur le site de l’Université Rice dans ce communiqué de presse, qui emploie d’ailleurs le terme de “tatouages quantum-dot”. Kevin Mc Hugh y explique que “la Fondation Bill et Melinda Gates a approché” l’équipe de chercheurs pour qu’ils trouvent quelque chose qui aiderait à savoir aisément qui a été vacciné ou non lors de campagnes de vaccination. La Fondation Bill et Melinda Gates finance de très nombreux projets de recherche dans ses domaines de prédilection, santé publique, vaccination, lutte contre la pauvreté…

Dans le résumé de l’étude, M. McHugh confirme que les “quantum-dots ne contiennent que des informations sur le vaccin reçu” et “rien d’autre sur la personne”. Il affirme aussi que les personnes pourraient refuser et que leurs données seraient protégées. Loin de l’idée — très répandue parmi les théories complotistes visant Bill Gates — d’une volonté de vacciner de force tous azimuts, le chercheur affirme au contraire que ce système, s’il devait un jour voir le jour, permettrait de n’administrer que les vaccins nécessaires puisqu’on saurait qui a déjà reçu tel ou tel vaccin.

Qu’est-ce qu’ID2020 ?

En outre, certaines publications — comme celle-ci (“Coronavirus et projet ID2020 : Bill Gates recommande un vaccin avec implant”) — mentionnent à l’appui de leurs allégations un “projet ID2020”.  Il s’agit d’une alliance, dont les membres fondateurs sont notamment le Gavi (Alliance pour le vaccin, financée en partie par la Fondation Gates) et Microsoft. Selon son site internet, l’idée de cette alliance est de permettre l’accès à un système d’identification numérique pour les personnes dans le monde qui n’ont pas de papiers d’identité.

Cela s’inscrit dans les “Objectifs de développement durable” 2015-2030 de l’ONU, qui veulent notamment d’ici à 2030, garantir à tous une identité juridique, notamment grâce à l’enregistrement des naissances”. “Pour plus d’un milliard d’individus dans le monde, l’accès aux biens et services de base est difficile, sinon impossible, en raison du manque d’identification reconnue”, fait valoir ID2020 sur son site.

Et dans les pays où en revanche l’identité numérique est une réalité, l’alliance assure aussi qu’elle veut grâce à ses projets redonner aux individus le contrôle et la protection sur leurs données personnelles dans un monde où elles sont largement collectées et utilisées par les géants technologiques à des fins commerciales.

La dirigeante de ID2020, Dakota Gruener, a d’ailleurs indiqué au site d’informations The New Humanitarian que l’organisation n’envisageait pas l’usage de puces ou de dispositifs implantables. La théorie liant ID2020 et le “puçage” des gens se retrouve sur Internet avant la pandémie de Covid-19 puisqu’on la trouve ici en octobre 2019 sur le site Infowars du complotiste américain Alex Jones.

En résumé, pour élaborer leurs allégations, les publications accusant Bill Gates de vouloir “pucer” la population piochent dans divers projets, recherches et engagements liés de près ou de loin à Bill Gates et à l’identité numérique et/ou la vaccination.

Elles interprètent certaines déclarations et certains projets de façon erronée, mélangent des concepts différents, pour aboutir à des accusations infondées, qui pour beaucoup d’entre elles servent de tremplin aux positions anti-vaccins.