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Ce dossier a été initialement publié dans le magazine TelQuel n°614 du 4 avril 2014.
Aujourd’hui, le Maroc renvoie parfois l’image d’un havre de stabilité : un royaume à la dynastie multiséculaire, le deuxième système politique le plus ancien au monde après le Japon. Pourtant, l’apparente continuité dynastique des Alaouites cache mal la guerre pour le pouvoir que se sont souvent livrée frères et cousins, pères et fils, oncles et neveux. L’histoire des origines de la dynastie régnante n’est d’ailleurs rien d’autre que celle d’une guerre fratricide entre deux des fils de Moulay Cherif.
Un duel fondateur
On fait en effet remonter l’épopée des Alaouites à Moulay Cherif, considéré comme le père spirituel de la dynastie. Dans l’anarchie qui suit la mort du sultan saâdien Ahmed Al Mansour, une famille a émergé dans le Tafilalet, les Alaouites, dont l’un des ancêtres, Hassan Addakhil, aurait émigré du Hijaz au XIIIe siècle. Dans les années 1630, le premier Alaouite à se frayer un chemin dans l’Histoire se nomme donc Moulay Cherif. Son ascendance prophétique présumée et son aura religieuse font de lui un compétiteur de choix pour la course au pouvoir suprême sous le règne finissant des Saâdiens. En 1631, Moulay Cherif est ainsi désigné pour présider aux destinées des tribus du Tafilalet. Mais son pouvoir politique restera précaire, fortement concurrencé, au Tafilalet même, par celui de la zaouïa de Dila.
Forcé d’abdiquer en 1635, c’est l’un de ses fils, Moulay M’hammed, qui reprend le flambeau de la politique et de la lutte armée, Moulay Cherif jouissant toujours d’une certaine aura religieuse. Le nouveau prétendant dispose de nombreux atouts mais ce n’est pas lui que l’histoire retiendra comme le fondateur de la dynastie alaouite. De fait, la succession de Moulay Cherif n’a pas fait l’unanimité et le pouvoir de Moulay M’hammed est contesté par l’un de ses frères, Moulay Rachid.
En 1659, suite à la mort de leur père qui était resté leur chef spirituel, la guerre est déclarée entre les deux frères. Après avoir longtemps erré à travers le Maroc pour fuir son aîné, Moulay Rachid parvient à se constituer une base territoriale dans le Maroc oriental. En 1664, il remporte une bataille décisive contre Moulay M’hammed. Il entrera dans Fès deux ans plus tard et y sera proclamé sultan, devenant du même coup le premier souverain alaouite. Il ne règnera pas longtemps. En 1672, au lendemain de l’Aïd Al Adha, il fait une méchante chute de cheval et se fracasse le crâne contre un arbre.
Violence des mœurs politiques
C’est en fait un autre frère que l’Histoire retiendra comme le véritable fondateur de la dynastie alaouite : Moulay Ismaïl. Mais aussi long et brillant qu’il ait pu être, le règne de ce sultan fut en grande partie hypothéqué par le problème récurrent de la succession. Dès son accession au trône, en 1672, Moulay Ismaïl dut affronter un de ses neveux, Ahmed Ben Mehrez, qui s’était déjà révolté du temps de Moulay Rachid, et qui maintiendra un foyer de sédition dans le sud du pays pendant les quatorze premières années du règne de Moulay Ismaïl.
En fait, malgré les immenses efforts fournis par le sultan pour consolider l’organisation de l’Etat, le problème de succession reste entier. Certaines des décisions du sultan contribuent aussi à renforcer les rivalités entre ses potentiels successeurs. Ainsi, en 1700, Moulay Ismaïl procède à la nomination d’un de ses fils à la tête de chaque province. Or, au lieu de se conduire en représentant de l’Etat central, chacun de ces princes se comporte en sultan dans son domaine.
Les historiens ont notamment gardé le souvenir de la révolte menée de 1700 à 1706 par Mohammed Al Alim, un des fils de Moulay Ismaïl à qui avait échu le Souss avec Taroudant pour capitale. Les populations du sud semblent avoir apprécié les qualités de ce prince juste et équitable. Mais son épopée est brisée net par la défaite de son armée devant celle de son père, commandée par un de ses frères. Les sources relatent, tout en la déplorant, la fin tragique de Mohammed Al Alim qui se voit châtié suivant les préceptes de la Charia: ordre est donné par Moulay Ismaïl de l’amputer du bras droit (qui porte le glaive) et de la jambe gauche (qui, la première, s’engage dans l’étrier). L’ambitieux et malheureux prétendant mourra de ses blessures.
Après l’âge d’or, l’anarchie
Vingt et un ans après, à la mort de Moulay Ismaïl, Thomas Pellow, un émissaire britannique au royaume chérifien, décrit ainsi le Maroc: “Un pays dont le roi a si bien nettoyé les campagnes que nulle part au monde peut-on voyager avec autant de sécurité”. Mais ce calme et cette stabilité sont bien précaires puisque l’âge d’or qu’a constitué le règne de Moulay Ismaïl est immédiatement suivi d’une anarchie qui durera trente ans.
Le Maroc est pris en otage par l’armée que Moulay Ismaïl avait lui-même instituée et réorganisée: le Guich des Oudayas et les Abid Al Boukhari font et défont les sultans. Cinq se succèderont sur le trône. Un seul finit par émerger : Moulay Abdellah qui, après avoir été déposé trois fois, parvient à régner durablement de 1750 à 1757. L’historien Daniel Rivet analyse ainsi la crise durable qui a mis à bas l’œuvre modernisatrice de Moulay Ismaïl:
“Le mécanisme de la crise reproduit à l’identique le scénario du début du siècle précédent (au moment de la mort de Ahmed Al Mansour et de l’anarchie saâdienne, ndlr) et a pour ingrédient majeur l’absence de règle de dévolution du pouvoir. Mais son déroulement et sa conclusion diffèrent puisque, pour la première fois dans l’histoire du pays, alors que le pouvoir est en état d’absence, il n’y a pas d’alternative dynastique”.
Daniel Rivet
De fait, les soldats – Abid Al Boukhari et Guich des Oudayas – ont accordé leur appui à tout descendant de Moulay Ismaïl qui se montrait généreux envers eux, sans jamais remettre en question la légitimité des Alaouites.
Le fils ingrat
Les historiens sont assez concis sur le règne en pointillés de Moulay Abdellah et gardent plutôt en mémoire son fils, passé à la postérité sous le nom de Mohammed III, qui accède au trône sans contestation en 1757 et l’occupe jusqu’en 1790. Mais la fin de ce règne relativement prospère est elle aussi marquée du sceau de la trahison.
Pendant sa dernière année, Mohammed III a en effet l’esprit constamment occupé par les frasques de son fils favori, le prince Moulay Yazid, qui ne fait plus mystère de sa volonté de le détrôner. Surnommé Al Azâar en raison du teint blond qu’il tient de sa mère irlandaise, il a, en 1789, l’idée saugrenue de piller, à son arrivée à La Mecque, la caravane marocaine du Hajj où avaient pris place, comme à l’accoutumée, de hauts dignitaires du royaume ainsi que des membres de la famille régnante. L’affaire a un écho considérable et, quand elle parvient aux oreilles du sultan, il renie publiquement son fils.
Moulay Yazid défie alors ouvertement son père et, après un passage par Le Caire, Tripoli, Tunis et Alger, rentre clandestinement au Maroc où il trouve asile au mausolée de Moulay Abdesselam ben Mashich dans le Rif d’où, suivant la tradition du horm, personne ne peut le déloger. Il y restera cloîtré et protégé jusqu’à la mort de son père en 1790, décédé alors qu’il tentait une ultime expédition contre son fils rebelle. Jouissant du soutien d’une partie de l’armée, Moulay Yazid ne sera reconnu que dans le nord du pays, à Meknès et à Fès notamment, tandis que les habitants de Marrakech et des régions du sud lui préfèrent son frère Moulay Hicham, qui n’a pourtant pas laissé un meilleur souvenir dans les annales des chroniqueurs.
Moulay Yazid meurt en 1792, après seulement deux ans de règne, blessé lors d’une ultime bataille avec son frère Moulay Hicham. Mais c’est encore une fois un autre frère qui montera sur le trône : Moulay Slimane, porté au pouvoir à Fès par une large coalition.
Une succession stabilisée, un pays en déclin
Etrangement, pendant près d’un siècle, alors même que le royaume chérifien a clairement amorcé une phase de déclin et est surpassé par les puissances européennes, la succession des sultans alaouites semble se dérouler de manière relativement pacifique. Usé et vieillissant, Moulay Slimane émet le souhait d’abdiquer en faveur d’un de ses neveux avant de mourir en 1822. Il laisse un pays affaibli militairement et incapable de faire face à la pression impérialiste de l’Europe.
Son successeur, Moulay Abderrahmane, assiste en spectateur au débarquement des troupes françaises à Alger en 1830. Engagé malgré lui dans une guerre contre ce nouvel ennemi qui campe à l’est, il subit une cinglante défaite à Isly en 1844. En 1860, son fils, Sidi Mohammed, qui lui a succédé un an plus tôt, est battu par les Espagnols à Tétouan. En 1873, encore une fois, la succession du sultan et l’avènement de Moulay Hassan ne sont pas sérieusement contestés au sein de la famille régnante.
Ce n’est qu’en 1894, à la mort de Hassan Ier, que des différends autour de la succession se font de nouveau jour. Le vieux sultan laisse le souvenir d’un homme de poigne qui a su habilement jouer des rivalités entre les puissances occidentales pour retarder l’échéance d’une perte de souveraineté qui semble de plus en plus inéluctable. La crise n’en sera que plus durement ressentie.
L’aîné éconduit
Le fait est que Moulay M’hammed apprend avec colère l’intronisation de son jeune frère qui n’a alors guère plus de quatorze ans. Mais, pris de court par les événements, il tarde à organiser la riposte et, lorsqu’il décide de quitter Fès avec quelques partisans afin de rassembler une armée, il est très vite rattrapé par les émissaires envoyés à sa poursuite par Ba Ahmed. Avec la bénédiction de son jeune frère, Moulay M’hammed est emprisonné à Meknès et ne sortira de sa geôle que bien après la mort de Ba Ahmed.
Les conditions de la mort de Hassan Ier ne sont pas pour rien dans la suite des événements. Hassan Ier rend en effet l’âme en plein territoire hostile alors qu’il s’est lancé dans une dernière campagne de pacification contre des tribus révoltées. Plusieurs récits concordants notent que le tout-puissant chambellan Ba Ahmed a tenu secrète la nouvelle de la mort du sultan afin d’éviter que, désormais sans chef, les soldats ne désertent en se livrant à toutes sortes de pillages et d’exactions. Le mystère demeure néanmoins entier sur les dernières volontés de Hassan Ier. A-t-il vraiment voulu que son plus jeune fils, Moulay Abdelaziz, lui succède, au détriment de son aîné, Moulay M’hammed, ou Ba Ahmed a-t-il manipulé les dernières volontés du souverain pour placer son favori ?
Réforme et jihad
Moulay Abdelaziz est d’abord un sultan effacé, tenu écarté des affaires de l’Etat par Ba Ahmed, qui exercera l’essentiel du pouvoir jusqu’à sa mort en 1900. Dès 1902, la révolte de Bou Hmara sonne le glas des jours heureux et insouciants de Moulay Abdelaziz. L’homme à l’ânesse, de son vrai nom Jilali Zerhouni, se présente comme le sultan légitime en se faisant passer pour Moulay M’hammed, toujours prisonnier de Abdelaziz. Bou Hmara, topographe, ancien membre du sérail tombé en disgrâce, magicien à ses heures perdues, parcourt le pays en long et en large, incitant le petit peuple à la révolte contre “le sultan des chrétiens”. Celui-ci, de plus en plus seul, faisant face à de multiples séditions et n’ayant plus d’argent, doit en plus affronter la concurrence de son demi-frère, Moulay Hafid.
“Moulay Hafid était un candidat idéal pour ceux qui pensaient que Abdelaziz était trop faible mais ne voulaient pas que le sultanat sortît de la dynastie régnante”, écrit l’historien Abdallah Laroui. De fait, Hafid, qui a deux années de plus que Abdelaziz, est alors vice-roi de Marrakech après l’avoir été à Tiznit. Contrairement à son demi-frère, il a reçu une éducation religieuse approfondie. Selon Laroui, il est “aussi à l’aise pour soutenir une controverse théologique avec des alims confirmés que pour débrouiller les subtilités de la politique européenne”. C’est donc cet autre fils de Hassan Ier qui s’élève contre Abdelaziz et veut lui ravir le trône, au nom d’un jihad revigoré. L’affrontement tourne rapidement en sa faveur.
Sultans fantoches et concurrents
En 1907, entièrement démuni, Moulay Abdelaziz n’a d’autre choix que d’abdiquer en faveur de Moulay Hafid. Mais malgré l’espoir qu’il aura suscité, celui-ci ne réussira pas là où son jeune frère a échoué. Sous son très court règne, la sédition prend de l’ampleur, les caisses de l’Etat sont inexorablement vides et, pour se maintenir, ce sultan qui avait fait de la lutte contre les infidèles son cheval de bataille doit continuellement réclamer l’aide de l’étranger. C’est donc un autre souverain amer qui, quatre ans après son prédécesseur, se voit dans l’obligation d’abdiquer.
Pour autant, la longue litanie des rivalités entre prétendants au trône alaouite ne s’arrêtera pas avec le protectorat. La France a bien compris le parti qu’elle pouvait tirer de l’institution sultanienne : il lui faut, à la tête de l’Etat chérifien, désormais protégé, un sultan qui se soumette de bonne grâce aux exigences de son protecteur. Pour Lyautey, la mission est simple en apparence : trouver un successeur à Moulay Hafid. Après avoir écarté la candidature des fils du sultan qui ne présentaient pas les garanties de docilité suffisantes, envisagé l’institution d’une régence et pensé à placer sur le trône une personnalité idrisside, le choix se porte finalement sur un autre fils de Hassan Ier, Moulay Youssef, qui, de 1912 à sa mort en 1927, ne se départira jamais de sa très grande docilité.
Un miraculé : le futur Mohammed V
Rien ne prédestinait Sidi Mohammed à succéder à Moulay Youssef. Les observateurs des années 1920 parlent unanimement d’un prince effacé, oublié de son père. Il a 17 ans lorsqu’il monte sur le trône, à l’étonnement de tous. Sidi Mohammed Ben Youssef revient de loin. Il est le troisième fils d’une fratrie de quatre. Son aîné Moulay Driss est atteint d’une affection nerveuse. Son deuxième frère, Moulay Hassan, passe pour un agitateur enclin au jeu. Le benjamin, Moulay Abdeslam, a le désavantage de l’âge.
Quand la santé de Moulay Youssef commence à se détériorer, c’est donc sur Sidi Mohammed que se porte le choix du résident général Théodore Steeg. Le jeune homme, qui vient de se marier, s’est entiché de son épouse et semble très loin de toute préoccupation politique: aux yeux des Français, il est le candidat idéal pour le poste de sultan. C’est pourtant interné au palais de Meknès et séparé de sa femme que Sidi Mohammed apprend la mort de son père. Le jeune prince, en complète disgrâce, était notamment accusé d’un vol de tapis par un gardien du palais, un certain Ababou. Mais les manœuvres de cet ambitieux chambellan n’ont pas payé. Et c’est presque un enfant qui monte sur le trône, que les autorités françaises croient pouvoir manier à leur guise.
Le sultan déposé
Pour Mohammed Ben Youssef, les choses commencent à se gâter à partir du moment où il se rapproche du mouvement national marocain qui, depuis le 11 janvier 1944, dispose d’un Manifeste. En 1947, à Tanger, au cours d’un discours resté fameux, il épouse les thèses indépendantistes et dénonce le “joug de l’oppression”. En 1951, les relations du sultan avec le protectorat se sont déjà beaucoup détériorées. Mohammed Ben Youssef engage un bras de fer avec la Résidence générale: pendant deux ans, il refuse d’apposer son sceau sur les dahirs (décrets) que lui soumettent les autorités du protectorat. Bien sûr, cela ne perturbe pas outre mesure le processus de décision. Mais le symbole ne peut être toléré trop longtemps par la France. Le sultan est déposé en 1953 et envoyé en exil en Corse puis à Madagascar.
Pour le remplacer, il faut idéalement un Alaouite. Le résident général Augustin Guillaume sollicite plusieurs membres de la famille royale. La plupart lui opposent une fin de non-recevoir: rares sont ceux qui veulent endosser le costume de “sultan des Français” que venait de quitter Mohammed Ben Youssef, d’autant que la popularité de ce dernier va en augmentant et que la situation politique menace de dégénérer.
On a pensé à sortir de son placard un des petits-fils de Hassan Ier, fils de Moulay M’hammed, l’héritier écarté du trône en 1894 par Ba Ahmed et Moulay Abdelaziz, mais il refuse l’offre qui lui est faite de devenir sultan. Un certain Mohammed Ben Arafa, d’abord réticent, acceptera finalement de jouer le jeu. Contrairement à ce que semble indiquer le patronyme sous lequel il est connu, Ben Arafa est un Alaouite pur jus. Son père est le propre frère de Hassan Ier et son grand-père n’est autre que Mohammed IV.
Mais ce sultan fantoche s’attirera très rapidement les foudres des nationalistes marocains. Trois semaines après son accession au trône, il échappe de peu à une tentative d’assassinat. Pendant les deux ans que dure son règne, la situation politique dégénère tellement que la France, sous la pression de la guerre d’Indochine et des “événements” en Algérie, envisage le retour d’exil de Mohammed Ben Youssef. C’est chose faite le 16 novembre 1955. Le sultan légitime est accueilli par une foule en liesse. L’indépendance n’est plus qu’une question de temps et l’un de ses héros n’est autre que le sultan en apparence timoré placé sur le trône 28 ans plus tôt.
Le trône sécurisé
Celui qui, à l’indépendance, devient le roi Mohammed V a fait plus que restaurer une partie du prestige de la monarchie et concourir à la rendre plus populaire : il a aussi préparé la voie à son fils. Non seulement le futur Hassan II, fils aîné de Mohammed Ben Youssef, a été étroitement associé au pouvoir de son père, pendant l’exil comme après l’indépendance, mais, en 1957, il a aussi été clairement désigné comme prince héritier avant même que Mohammed V ne remplace son titre de sultan par celui, plus moderne, de roi. La désignation aussi claire et précoce d’un héritier au trône est alors une grande nouveauté dans l’histoire de la dynastie alaouite et permet de lever une hypothèque, celle de la succession, toujours délicate dans une monarchie où le roi règne et gouverne.
Si bien que lorsque Mohammed V meurt prématurément en 1961, il ne se trouve aucun membre de la famille royale pour contester la légitimité du nouveau roi Hassan II. Contrairement à ce qui avait prévalu jusqu’au début du XXe siècle, le danger ne vient plus du clan alaouite. L’aura de la famille a en effet fortement décliné avec les errements des fils de Hassan Ier et l’intermède Ben Arafa. Et c’est la popularité du seul Mohammed V qui a permis à la dynastie de reprendre son envol. D’ailleurs, en ces temps de coups d’Etat et de républiques socialistes, les mieux placés pour disputer le pouvoir au roi ne se trouvaient plus parmi les membres de sa famille, mais dans l’opposition de gauche ou au sein de l’armée. Exit donc la peur du prétendant alaouite ?
Anecdotes: Morts violentes de sultans
Au Maroc, les successions pacifiques et acceptées de tous ont toujours été l’exception. Avant même l’émergence de la dynastie alaouite, notre Histoire regorge de sultans morts au combat, assassinés, déposés, exilés, voire suicidés. Morceaux choisis, entre régicides et quelques autres joyeusetés.
Idriss I, la jalousie du calife
Le premier sultan de l’Histoire du Maroc est bien mort assassiné. Dissident chiite fuyant les Abbassides, il est venu trouver refuge au nord du Maroc. En 788, il s’installe à Walili, l’antique cité de Volubilis, et rallie à lui plusieurs tribus berbères. Il étend son influence jusqu’à Tlemcen à l’est, et jusqu’à Salé au sud, mais finit par s’attirer l’attention de Haroun Arrachid qui le fait empoisonner en 791 par un chiite que le calife a réussi à soudoyer.
Idriss II, pépin tueur
Idriss II meurt en 828 dans des circonstances pour le moins étonnantes: il est en train de manger une grappe de raisin quand un grain reste coincé dans sa gorge. Or, raconte le géographe andalou Al-Bakri, “ne pouvant s’en débarrasser, il demeura la bouche ouverte, bavant et écumant jusqu’à ce que la mort survint”.
Tachfin Ibn Ali, un sultan suicidé?
Les chroniqueurs de la chute des Almoravides rapportent qu’en 1145, le sultan Tachfin Ibn Ali, enfermé à Oran, et cerné de toutes parts par les Almohades, galope seul vers les hauteurs de la ville et y trouve la mort dans un accident qui a toutes les apparences d’un suicide: “Il dit adieu à ses compagnons et se précipita à travers les flammes hors de la porte. On le retrouva mort le lendemain matin, il ne portait ni trace de coup de lance ni blessure. Son cadavre fut rapporté aux Almohades qui l’exposèrent au lieu du supplice”.
Ishaq Ibn Ali, la mort de l’enfant roi
A la prise de Marrakech, en mars 1147, les Almohades massacrent tous les princes almoravides qui s’y trouvent, parmi lesquels Ishaq Ibn Ali qui vient tout juste de succéder à son frère et d’accéder au trône. Il est retrouvé caché au milieu d’un tas de charbon dans une chambre du palais.
AnNassir, empoisonné par une concubine
De retour à Marrakech après la cuisante défaite de Las Navas de Tolosa en Andalousie, on raconte que le sultan Annassir s’enferma dans son palais où il s’adonna entièrement aux plaisirs, s’enivrant jour et nuit jusqu’à sa mort à la fin 1213, âgé d’une trentaine d’années. Selon Ibn Abi Zar’, il fut certainement empoisonné par ses ministres qu’il avait lui-même l’intention de faire périr, mais qui le devancèrent en lui faisant donner par l’une de ses concubines “une coupe de vin qui le tua subitement”.
Abou Dabbous, le dernier des Almohades
Le dernier sultan almohade trouve la mort à Tinmel en 1275, lorsque les nouveaux maîtres mérinides du pays s’emparent de ce qui avait été jadis l’inexpugnable capitale du mouvement créé par Ibn Toumert. Ils dévastent la nécropole des souverains almohades et y déterrent les corps de Abdelmoumen et de son fils Yaâcoub Al Mansour qu’ils décapitent.
Abou Al Haqq, égorgé comme un mouton
En 1465, la population de Fès, exaspérée par les succès militaires des chrétiens au Maroc, se révolte contre le dernier sultan mérinide et le tue dans d’atroces sévices: emmené dans la mosquée des Qaraouyine, Abou Al Haqq est égorgé le 23 mai, suivant le rite suivi pour le sacrifice du mouton de l’Aïd El Kébir.
Bou Hassoun, éphémère restauration
En 1554, l’éphémère dynastie des Wattassides est déjà aux prises avec les premiers Saâdiens qui ont pris possession de Fès. Appuyé par les Turcs d’Alger, le Wattasside Bou Hassoun la leur reprend, mais cette restauration ne dure pas longtemps et Bou Hassoun est finalement vaincu et tué dans le Tadla par le Saâdien Mohammed Cheikh. Les derniers Wattassides sont massacrés par des pirates alors qu’ils tentent de fuir le Maroc.
Mohammed Cheikh, tête de Turc
La victoire de Mohammed Cheikh est de courte durée. Le fils du fondateur de la dynastie saâdienne finit en effet assassiné en 1557 par un transfuge turc qui s’était mis à son service. Sa tête est portée à Alger, puis envoyée à Constantinople. Le Maroc est alors sur le point de tomber dans l’escarcelle de l’Empire ottoman, mais l’Espagne fait échouer in extremis les plans de la Sublime porte.
Abdelmalek, un mort victorieux
Le nom du sultan Abdelmalek reste attaché à la bataille des Trois Rois qui le met aux prises avec son neveu Al Moutawakil, dépossédé du trône quelques années auparavant, et allié pour l’occasion au roi Sébastien, fraîchement débarqué du Portugal. Le 4 août 1578, ce sont ainsi pas moins de trois rois qui périssent sur les berges de l’oued Al Makhazine dans les environs de Ksar El Kébir. Abdelmalek meurt de maladie aux premières heures de la bataille, Al Moutawakil succombe en tentant de s’enfuir, tandis que Sébastien tombe sous le feu de l’ennemi. C’est finalement Ahmed Al Mansour, frère de Abdelmalek, qui tirera tout le bénéfice de la victoire.
Ahmed Al-Mansour, la peste tue même les rois
La fin de règne d’Ahmed Al-Mansour, malgré ses victoires africaines, n’a rien de glorieux. Le royaume chérifien est accablé de tous les maux: épidémies, famines, inondations, invasions de sauterelles, auxquelles vient s’ajouter une insécurité grandissante. Les villes se dépeuplent, les campagnes sont des repères de brigands. Ahmed Al Mansour se déplace à travers tout le pays pour fuir l’épidémie de peste. Mais, malgré ses précautions, il meurt pestiféré le 25 août 1603.
POUR ALLER PLUS LOIN
Michel Abitbol, Histoire du Maroc, Paris, Perrin, 2009.
Charles-André Julien, Le Maroc face aux impérialismes (1415-1956), Paris, Editions du Jaguar, 2011 (première édition, 1978).
Mohamed Kably (dir), Histoire du Maroc, réactualisation et synthèse, Rabat, Publications de l’Institut royal pour la recherche sur l’histoire du Maroc, 2011.
Abdallah Laroui, Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain (1830-1912), Paris, Maspero, 1977.
Daniel Rivet, Histoire du Maroc, Paris, Fayard, 2012.
Henri Terrasse, Histoire du Maroc des origines à l’établissement du protectorat français, Casablanca, Frontispice, 2005 (première édition, 1949).
très intéressant , je souhaite un avenir radieux au Maroc, un beau pays , j ai choisi d y vivre ma retraite car je l aime. jean marc.