Fatima la Marocaine ou l’intrépide spahi de l’armée française

Épisode 4. Sur le bateau menant les troupes coloniales en France, une jeune recrue se fait remarquer en 1914. En quittant le Maroc, un lieutenant a emmené une femme avec lui. Intégrée aux spahis, Fatima devient alors la seule femme combattante connue de l’armée française.

Par

Été 1914. Port de Rabat. Le lieutenant-colonel Gustave Dupertuis embarque avec sept escadrons de 200 hommes, direction Cette (actuelle Sète). Le lendemain, l’homme se promène sur le pont, quand il croise “un tout jeune spahi qui [le] salue d’un air un peu gêné”, raconte-t-il dans ses mémoires publiées dans Un homme d’aventure, tome 1 (Editions Les Presses du Midi). Un enfant de troupe peut-être ? La question n’est plus de son ressort et sort de son esprit. Jusqu’au lendemain et sa seconde rencontre avec ce mystérieux individu.

Cette fois, ses yeux s’attardent sur la recrue à “l’extrême jeunesse et à la main fine”. Un détail attire son regard. Sur son visage, “une espèce de petite étoile bleue” est dessinée. Pour Gustave Dupertuis, il n’y a alors plus l’ombre d’un doute. Son “enfant de troupe [est] une femme”. Ayant longuement vécu au Maroc, il y reconnaît la marque de la tribu des Zaers, tatouée entre les sourcils des petites filles, quelques mois après leur naissance. Il fait appeler le Capitaine d’état-major, qui lui raconte alors le pot aux roses. La jeune femme s’appelle Fatima.

“Le lieutenant X l’a connue il y a deux ans. Elle est orpheline. X a craint qu’après son départ elle n’eût de gros ennuis de toutes sortes. Il était très malheureux à cette idée”, raconte le capitaine. Gustave Dupertuis n’aura pas plus de détail sur la nature de leur relation, qui reste encore aujourd’hui un mystère. Sachant que cette jeune femme ne serait pas autorisée à les suivre, le lieutenant X a préféré la faire passer clandestinement. Alors que l’aventure de Fatima aurait pu s’arrêter là, le lieutenant-colonel Dupertuis ferme les yeux. “Ce lieutenant X était un excellent officier qui parlait fort bien l’arabe et sa pauvre petite compagne me faisait pitié”, écrit-il des années plus tard.

Arrivé à Sète, le lieutenant-colonel se sépare de l’escadron du lieutenant X et perd la trace de Fatima, qu’il va toutefois recroiser par deux fois, auprès de bataillons de spahis. Après la bataille de la Marne, il la repère au milieu d’infirmières, portant “le brassard de la croix de Genève”, ce qui reste peu surprenant. Exerçant des métiers auxiliaires en marge des combats (infirmières, cantinières…), les femmes ne sont toutefois pas autorisées à porter les armes. Et pourtant. La seconde fois qu’il la revoit, Fatima clôture discrètement la marche d’un escadron de spahis. À leur tête, le fameux lieutenant X.



À cheval, elle a remplacé le brassard de la Croix-Rouge par un revolver. Quand soudain, un groupe de hussards allemands sort d’un bois alentour. Alors que les spahis foncent sur eux, Fatima ne reste pas en retrait. Elle poursuit l’un des Allemands resté à pied “en tirant des coups de revolver”, avant de le faire prisonnier.

“Alors je déclarai que je la reconnaissais comme un cavalier”, écrit Gustave Dupertuis. “Elle resta près de deux ans au régiment” de spahis en France, faisant “gaillardement avec eux le coup de sabre et le coup de feu”, raconte Le Petit Journal en août 1915. Mais lorsque le régiment prend la route de l’Orient, l’escadron du lieutenant X est renvoyé au Maroc, “ce qui arrangea bien les choses”. Ce que devinrent le lieutenant X et Fatima, la suite de l’histoire ne le raconte pas.

“Des femmes qui se battent en vrais soldats

Dans le journal Le Miroir du 13 juin 1915, “Fathima la Marocaine” pose fièrement sur son cheval, aux côtés de deux gradés de l’armée française (le lieutenant X et le lieutenant-colonel Dupertuis). Elle intrigue la presse de l’époque, rejoignant la classe des “Amazones modernes” décrites par Le Petit Journal, qui liste alors les exemples de combattantes dans l’armée russe notamment.

Fatima restera, quant à elle, la seule cavalière de l’armée française, intégrée en tant que soldate. Les femmes ne feront officiellement leur entrée dans l’armée qu’avec la loi du 11 juillet 1938. Écartées des forces armées durant l’Occupation, elles prendront part activement à la Résistance, durant la Seconde Guerre mondiale. Dans les tribus dissidentes au Maroc, de nombreuses femmes entreront également dans la résistance durant la Guerre de pacification, débutée dans les années 1910.  

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer