Migration illégale : l’Union européenne tente toujours de trouver un terrain d’entente avec le Maroc

Un document confidentiel, révélé par le quotidien espagnol “El País”, revient sur les différents scénarios établis par l’Union européenne pour convaincre le Maroc d’adhérer totalement à sa lutte contre la migration illégale.

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Frontière de Sebta, le 30 août 2019. Crédit: Antonio Sempere / AFP

L’Union européenne (UE) reconnaît ouvertement le rôle prioritaire que joue le Maroc dans sa stratégie migratoire, rapporte le quotidien espagnol El País, qui a eu accès à un document officiel de l’UE. Cependant, les deux parties peinent à trouver un accord.

Rabat réclame plus d’argent, mais surtout la reconnaissance de son importance sur l’échiquier migratoire européen, à l’instar de la Libye et de la Turquie. Pendant ce temps, Bruxelles peine à faire adhérer le Maroc à sa première demande, à savoir le rapatriement des Marocains vivant illégalement sur le territoire européen.

Fixer des objectifs à long terme

Si le document reconnaît que “le Maroc a déployé des efforts importants dans la gestion des flux migratoires et dans la prévention des départs irréguliers vers l’Espagne”, notamment “après le soutien (financier) substantiel apporté en 2018” face à l’augmentation de l’arrivée de petites embarcations, Bruxelles reste convaincue que la relation avec le Maroc doit être repensée globalement et “fixer des objectifs à long terme”.

Pour ce faire, l’Union européenne veut s’appuyer sur deux projets majeurs pour faire adhérer le Maroc : le lancement de leur nouveau cadre financier (2021-2027) et de l’instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale (NDICI). Ce dernier est doté d’un budget de 79,5 milliards d’euros (dont près d’un quart est destiné aux pays voisins de l’UE).

Parmi les 35.000 Marocains qui ont reçu un ordre de quitter l’UE en 2019, seuls 29 % ont pu être renvoyés

Selon la même source, le Maroc espère être l’un des principaux bénéficiaires de cet instrument. De son côté, l’Union européenne souhaite avant tout que Rabat facilite davantage le retour de ses ressortissants. Si l’Espagne et la France ont des accords bilatéraux avec le royaume dans ce domaine, ce n’est pas le cas des autres pays de l’UE.

Ainsi, parmi les 35.000 Marocains qui ont reçu un ordre de quitter l’UE en 2019, seuls 29 % ont pu être renvoyés. Bruxelles serait même prête, selon le document, à accorder plus de visas aux demandeurs marocains, en contrepartie de la réadmission des migrants des pays tiers. La négociation sur ce point bloque depuis 2015, précise le document.

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L’Union européenne propose par ailleurs d’autres domaines de renforcement de la coopération entre les deux parties : l’échange d’informations et la coopération judiciaire et opérationnelle contre la traite des êtres humains, notamment par le biais d’agences de l’UE comme Frontex ou Europol. “Nous devons également exhorter le Maroc à adopter la loi sur l’asile, et à promouvoir le rôle de l’Agence européenne pour l’asile dans la mise en place d’un système efficace”, ajoute le document.

Coopération vs ingérence

Cependant, la mise en œuvre de tous ces projets reste délicate, surtout que Rabat résiste à toute intervention européenne qui pourrait être interprétée comme une ingérence dans ses politiques internes ou une remise en cause de sa capacité à gérer les flux migratoires, souligne El País. “Le Maroc a souvent eu l’impression que la proposition de l’UE de renforcer ses capacités (de contrôle des frontières) sous-estime ses propres capacités, peut-on lire dans le document rapporté par le quotidien espagnol. D’autre part, le Maroc affirme fréquemment qu’il a besoin d’un soutien sous forme d’équipements dans ce domaine.”

Le Maroc est le troisième partenaire qui reçoit le plus d’argent de l’UE pour la gestion des migrations, après la Turquie (6 milliards d’euros depuis 2016) et la Libye (355 millions d’euros depuis 2015).

Le texte, qui a été examiné le 22 avril par les représentants de tous les États membres, reconnaît “un décalage croissant entre les offres européennes et les attentes marocaines”. Étant un pays de périphérie, l’Espagne serait favorable au Maroc, selon El País, et met en garde contre le risque de subordonner la coopération internationale à la collaboration en matière de politique migratoire, comme le souhaitent plusieurs partenaires internes de l’UE. Les mêmes sources nient que Rabat ait des “attentes élevées” en ce qui concerne les budgets de l’UE, comme le suggère le document du Conseil.

“Le Maroc veut simplement des programmes d’investissement liés à la politique de voisinage, à l’instar des autres pays de la zone”

Des sources diplomatiques, à El País

Le Maroc veut simplement des programmes d’investissement liés à la politique de voisinage, à l’instar des autres pays de la zone”, soulignent des sources diplomatiques à El País. La ministre des Affaires étrangères, Arancha González Laya, a affirmé le 22 avril devant le Congrès que l’Espagne s’est efforcée d’obtenir un consensus au sein de l’Union européenne sur le modèle de coopération espagnol et a défendu “des fonds adéquats et prévisibles” pour soutenir son principal partenaire africain.

El País ajoute que le Maroc est le troisième partenaire qui reçoit le plus d’argent de l’UE pour la gestion des migrations, après la Turquie (6 milliards d’euros depuis 2016) et la Libye (355 millions d’euros depuis 2015). Depuis 2014, Bruxelles a injecté 343 millions d’euros dans des programmes de soutien à la gestion de la migration, dont la majeure partie après le pic historique du nombre d’arrivée de petites embarcations sur les côtes espagnoles en 2018.

La nouvelle collaboration menée par l’Espagne a permis de réduire de moitié les flux l’année suivante, mais la crise migratoire aux Canaries, où plus de 23.000 personnes sont arrivées en 2020, principalement en provenance des provinces du sud du Maroc, a de nouveau déstabilisé les 27.