Cinéma. La grève du sexe

La source des femmes, en compétition au dernier Festival de Cannes, est dans les salles du royaume. Un film “marocain” à découvrir.

La pratique est vieille comme le monde. Les femmes, pour obtenir gain de cause auprès de leurs époux, les privent de câlins. Il y a près de 2500 ans, sous la plume d’Aristophane, une Athénienne rusée, Lysistrata, conseillait aux femmes l’abstinence jusqu’à ce que les hommes acceptent de ne plus se faire la guerre. Ce qui était valable à l’époque où Sparte et Athènes se déchiraient, est aujourd’hui toujours d’actualité. En 2001, à Sirt (village au nord-est de la Turquie), les femmes avaient décrété la grève du sexe. Elles exigeaient de leurs époux qu’ils les aident à apporter de l’eau au village. Le réalisateur français d’origine roumaine, Radu Mihaileanu (Va, vis et deviens), s’est inspiré de ce fait divers et l’a adapté au cinéma sous le titre La source des femmes. Dans un village du Maghreb, les femmes parcourent des kilomètres pour chercher de l’eau. Beaucoup d’entre elles chutent en chemin. Les femmes enceintes perdent leurs enfants. Une fronde s’organise contre les hommes, indifférents à la souffrance de leur moitié. Ils seront privés de tendresse jusqu’à ce qu’ils daignent aider les femmes à apporter l’eau au village. Cette révolution, lancée par les femmes, est menée par Leila, campée par l’actrice française d’origine algérienne, Leila Bekhti, et par une dure à cuire surnommée “vieux fusil”, interprétée par la désopilante Biyouna.

Un gentil divertissement
On entend déjà, ça et là, le parallèle fait entre ce gentil long-métrage et le Printemps arabe. Et on dit ça suffit ! Non, La source des femmes n’est pas un film politique. C’est une ode, parfois naïve, à la liberté des femmes musulmanes et à leur combat pour faire valoir leurs droits. L’ambition du cinéaste Radu Mihaileanu est clairement affichée. Il veut montrer qu’une femme du Maghreb, même analphabète, et même soumise à son époux, porte en elle un espoir universel, celui de l’égalité. La source des femmes est entouré de bienveillance pour la femme et assez sévère avec les hommes, que l’on voit passer à siroter du thé sur la terrasse d’un café à longueur de journée. Certes, il y a deux personnages pour nuancer un peu tout ça. Un homme doux et tendre, Sami, interprété par le beau Palestinien Saleh Bakri (La visite de la fanfare), amoureux et respectueux de son épouse. Et une femme aigrie et misogyne, la belle-mère de Leila, jouée par Hiam Abbas. Mais ce n’est pas assez pour donner au film la complexité que l’on est en droit d’attendre. D’ailleurs ce n’est pas bien grave. La source des femmes n’est pas un film très intelligent, ni très élaboré, mais un bon long-métrage divertissant qui emporte son spectateur dans l’univers enchanté des contes de grands-mère. Tout y est : le hammam, antre de la féminité et des confidences, les mille et une nuits, le couscous que l’on mange à la main, les chants berbères, le moussem, les versets du Coran tolérants et ouverts, etc. ça aurait pu être folklo et ennuyant, pourtant ça ne l’est pas. Radu Mihaileanu donne à voir un peu de notre imaginaire collectif avec légèreté et humour, et les 140 minutes de son film s’écoulent sans que le spectateur s’en rende compte. Ce qui ravit, c’est moins la chronique sociale que ce monde de femmes où Mihaileanu nous introduit, un peu à la manière de Caramel de la Libanaise Nadine Labaki.

Made in Morocco
“Ce film est marocain”, ont insisté le réalisateur et son actrice Leila Bekhti, lors d’une émission de la télévision française. Radu Mihaileanu a tenu à présenter La source des femmes, qui était en compétition officielle à Cannes, comme un film marocain. La part de la boîte de production marocaine Agora films est pourtant minime dans le budget (10%), mais le tournage s’est fait entièrement au Maroc. C’est dans le village de Warielt (à quelques kilomètres de Marrakech) que les caméras du réalisateur roumain ont posé leurs trépieds pendant plus de 6 mois jusqu’en décembre 2010. Ses actrices, pour la plupart françaises d’origine maghrébine, ont été préparées et formées par les femmes du village. Le casting compte aussi des acteurs et actrices marocains. L’excellent Mohamed Majd campe le rôle du beau-père de Leila. On retrouve aussi Amal Atrach, qui porte les répliques les plus drôles du film. La langue aussi est marocaine. Radu Mihaileanu a fourni un effort considérable pour que la darija soit utilisée par tous les acteurs. Une intention louable qui, finalement, excuse les différences d’accents perceptibles entre les personnages.

 

Flash-back. Retour à la source
La dernière édition d’Envoyé spécial, sur France 2, a consacré un reportage aux femmes du village de Warielt. Les journalistes Anouk Burel, Nicolas Auer, Pierre Aziza et Frédérique Prigent sont allés à la rencontre des six femmes du village qui ont participé au film. Des figurantes qui ont eu la chance de fouler le tapis rouge du Festival de Cannes. Les journalistes les ont suivies de leur village à la Croisette, puis de la Croisette au dur retour à la réalité de leur bourgade. Ces femmes, dans la vraie vie, vont chercher l’eau à la source sous le regard indifférent de leurs époux et pas question de faire la grève du sexe. Le reportage est un voyage dans la vraie vie de ces femmes, loin du monde enchanté du film, sans eau, sans électricité, sans routes, sans hôpitaux et sans écoles.
(Disponible sur envoye-special.france2.fr)

 

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