Ta vie en l'air. Atterrissage forcé

Par Fatym Layachi

Tu as passé tout le vol à dormir. C’est que tu as prolongé ta dernière soirée jusqu’au petit matin. Mais ça ne se voit pas, tu sors de l’avion, le teint hâlé et l’esprit empli de jolis souvenirs. Tu déplanes assez vite quand tu vois la quantité apocalyptique de gens qui attendent pour viser leur passeport avant toi. Tu n’as d’ailleurs jamais compris pourquoi c’était si long. A croire que tout est fait pour que tu ne t’imagines pas que c’est simple d’accéder au plus beau pays du monde. Bien sûr tu pourrais glisser un billet ou user d’un subterfuge que tu maîtrises si bien. Mais bizarrement, alors que les passe-droits sont un des faits sociaux les plus répandus à travers ta belle nation, à l’aéroport ça se fait de moins en moins. On a donc compris ce qui n’allait pas dans ce pays mais, à défaut d’y remédier, on se contente de ne plus le montrer aux étrangers. Donc pas à l’aéroport ! Dans les administrations locales oui, mais à l’aéroport non. Enfin bref, tu finis par te faire tamponner ton passeport par un flic qui n’est ni bronzé ni conscient de son rôle de premier contact avec ce pays paradisiaque et qui arrive à te déprimer en moins de temps qu’il ne lui en a fallu pour gratter sa moustache. Et puis tu traînes ton reste d’enthousiasme jusqu’à cette vaste salle lugubre pour y attendre ta valise.

Tu te demandes tout de même comment on peut avoir l’audace de prétendre à l’organisation de la Coupe du Monde quand on ne peut même pas avoir un tapis bagages qui fonctionne convenablement. Mais tu viens de rentrer de vacances alors tu ne vas pas déjà commencer à te prendre la tête. Heureusement tu as ton téléphone. Et l’un des grands avantages de rentrer au pays, c’est de pouvoir apprécier les joies de la 3G et non pas avoir à chercher un wifi pour poster une photo de tes jambes dans une posture de rêve de bas étage ou vérifier si tu n’as pas raté le scoop du jour sur Facebook. Tu attrapes enfin ta précieuse valise et tu sors devant l’aéroport. Une voiture est venue te chercher. Assez vite tu te retrouves dans les embouteillages. Une fourgonnette derrière la voiture qui te conduit klaxonne violemment. Ton chauffeur comprend que le flic dans la fourgonnette a envie de lui chercher des noises et se met sur le côté. Le deuxième moustachu du jour descend et balance : « Tu as brûlé le feu ! ». Ce qui est totalement faux. Tu te sens agressée alors tu t’insurges en disant que non, aucun feu n’a été brûlé. Le flic te regarde de haut et te balance très calmement : « Comment peux tu mentir devant Dieu ? ». Mais qu’est-ce que Dieu a à voir avec la couleur du feu ? Cette histoire sordide est finalement réglée grâce à un billet glissé discrètement dans le permis. Sur ce coup-là, le moustachu n’a pas l’air de se préoccuper de Dieu. Vous continuez la route qui te fera rentrer chez toi.

Ton bronzage te donnera l’illusion du bonheur pour encore quelques semaines. Fini le monoï sur les cheveux aux ondulations sensuelles. Ces textures ne s’exportent pas en milieu urbain. Ça ne fait pas net. Or toi, tu es nette. Ton rendez-vous chez la manucure est déjà pris. C’est qu’il faut adapter son look, couper ces pointes qui ont mal blondi à la plage, cesser de se balader en tongs et arrêter de croire qu’un paréo est une très belle robe de soirée. Reprendre la vie en société. Avec ses codes, ses brushings, ses faux sourires, ses talons. La seule chose qui te rassure c’est que tu ne vas pas ranger tes maillots tout de suite. Tu as encore quelques semaines devant toi pour peaufiner ton bronzage. La misère serait moins pénible au soleil. C’est sans doute vrai. Ce dont tu es sûre, en tout cas, c’est que la rentrée est nettement moins angoissante de ce côté de la Méditerranée. Et c’est déjà ça comme lot de consolation.