Ta vie en l'air. Une année pour rien

Par Fatym Layachi

Et voilà ! Une année qui se termine. Oh la la ! Celle-là encore, tu ne l’as presque pas vue passer. Et dire qu’hier encore tu bronzais sur une plage, c’était l’été. En un battement de cils, c’est déjà l’hiver. L’avantage de cette période est de te permettre de répéter « c’est fou ce que le temps passe vite » à tous ces gens que tu croises et à qui tu n’as pas grand-chose à dire. La période des fêtes, à défaut de rendre vraiment heureux, permet de fortifier les échanges en société. Tu souhaites plein de bonnes choses à plein de gens dont tu te fous. Tu souris émerveillée aux vœux. Et puis, tu as aussi passé du temps enveloppée d’un mélange détonnant fait de bons sentiments un peu mièvres et d’hypocrisie souriante. Et tu as eu droit fatalement au traditionnel et néanmoins schizophrénique bibi farci au foie gras et aux dattes. Bref, tu as passé Noël avec ta famille qui t’agace autant qu’elle t’inspire.

Et maintenant c’est l’heure des bilans où tu te mens et des (bonnes) résolutions que tu ne tiendras pas. Tu regardes en arrière : des bêtises par dizaines, quelques regrets aussi. Il en faut. Tu essaies de te projeter. Tu ne vois rien. Tu as vu des mecs faire le paon devant toi. Tu as été polie, tu as souri à leur fanfaronnade. Des fois, tu as été un peu perdue alors tu en as suivi un ou deux, espérant naïvement t’offrir un supplément de rêveries. Ce ne sont pas du tout des fragments du discours amoureux dont il s’agit mais des fragments d’une vie que tu t’évertues à rendre attirante à coups de photos aux filtres Instagram. Profitant de ce sursis qu’est ta jeunesse et la fermeté de tes seins, sachant que la gravité finira par gagner. Et il faut reconnaître que la tequila a pu être un allié très pratique. De la fuite en avant en un shot. Pas besoin de Kerouac ou de littérature. Une gorgée qui brûle un peu et qui fait oublier que rien ne va. Tu ne vas tout de même pas affronter tes problèmes en face. Quand même pas ! Tu n’as pas le temps. Pas le courage non plus. Et puis quand bien même tu voudrais t’intéresser à l’état du monde, tu serais encore plus déprimée. C’est que l’année ne fut pas glorieuse non plus à plus grande échelle. Un virus qui a semé la panique. Des avions qui s’écrasent ou disparaissent dans le cosmos. Des barbus qui égorgent en ton nom. Des selfies. Des ballons de foot. Et des pelouses inondées.

Et maintenant on va où ? Nulle part a priori. Toi tu rêverais d’aller dormir. Mais tu as une réputation à tenir, alors tu vas continuer à sourire, perchée sur ces talons qui compensent ce que tu perds en dignité qui s’étiole. Tu n’iras pas bien loin. Le champ des possibles n’est pas assez grand. Tu vis dans une bulle. Il y a quatre restos, sept boutiques et trois salons de coiffure. Tu tournes en rond comme un poisson rouge. Sauf que toi tu as une mémoire. Et tu n’es pas surprise quand tu te retrouves face aux mêmes personnes. Alors tu changes de robes, de chaussures, de rouge à lèvres ou de potes pour un jour, une soirée, un week-end. On s’occupe comme on peut ! Et ce soir tu as suivi tes potes en boîte. Toi, tu vas en boîte comme on regarderait un docu animalier. Par dépit. Sans grande conviction mais avec beaucoup de patience. Et comme si tu pourrais te passionner subitement pour les bonobos. Sauf que là, il n’y a pas de distance. C’est de toi et ta propre déchéance dont il s’agit dans ce spectacle assez sordide.