Ta vie en l'air - Hijab and the city

Par Fatym Layachi

Il y a des week-ends où tu n’aimes quasiment rien faire. Rien faire d’autre que glander et mater des séries. Et généralement c’est sur le canapé de Zee que tu choisis de t’avachir pour t’adonner à cette non-activité. Donc tu es chez Zee, à rêvasser avec elle les yeux rivés sur un écran. Le temps s’égrène lentement et paisiblement jusqu’à ce que la cousine de Zee débarque et vous sorte de votre état semi-végétatif. Et avec elle, comme signal d’alerte à toute la population environnante, le tintement bien bruyant de ses talons. Zee et toi traînassez en pyjamas honteux, elle est avec son jean moulé sur son cul bombé, sa peau sublimement hâlée grâce à la terracota, et sa manucure toujours impeccable.

Elle est comme elle l’a toujours été : pimpante. A une différence près, aujourd’hui ses cheveux sont couverts. Elle a un voile sur la tête. Enfin toi, tu as du mal à appeler ça un voile. C’est un foulard Hermès. Certes pas autour du cou mais ça reste un foulard Hermès. Parfaitement identifiable et que tu as donc parfaitement identifié. Tu ne dis pas qu’un hijab ne doit pas être siglé. D’ailleurs tu ne dis rien du tout à propos des hijabs. Tu n’as strictement rien contre une femme qui cache ses cheveux. Chacun se coiffe comme il veut après tout. Ta grand-mère portait unltam, une de tes cousines a les cheveux bleus, une de tes collègues se couvre la tête d’une espèce de mousseline qui laisse dépasser quelques centimètres de cheveux, une de tes copines s’est rasé la moitié des cheveux et ta vieille tante laisse déborder de sa derra fleurie un peu de ses cheveux que le henné a rendus orange fluo. Après tout, tu n’es pas rédactrice en chef de Vogue pour te prétendre commissaire de la fashion-police, et encore moins mufti d’Al Azhar pour t’ériger en gardienne de quelque morale que ce soit. Alors, bien évidemment, tu ne juges pas cette islamo-fashionista qui est face à toi. Cela dit, tu es un peu surprise. Et ton esprit un tant soit peu logique a juste besoin de comprendre. Que veut-elle ? Que cherche-t-elle à montrer ? Innocemment, tu as toujours pensé que si une femme revendique le port du voile, c’est pour protéger sa pureté et sa vertu des œillades graveleuses d’une gent masculine en effervescence. Or le voile sur la tête de cette fille, tu ne sais pas trop ce qu’il est censé envoyer comme signal. Tu oses lui poser la question de la cohérence de son look. Elle t’assène, très sûre d’elle : « Ben quoi on est bien loin d’être séduisante en hijab. » Ah bon ? C’est vrai que tu n’es pas savante en matière religieuse. Mais tu as lu Le Livre, Le Livre Sacré. Et tu y as lu : « Dis aux croyantes de baisser leurs regards, d’être chastes, de ne montrer que l’extérieur de leurs atours, de rabattre leurs voiles sur leurs poitrines, de ne montrer leurs atours qu’à leur époux ».

Alors toi, du haut de ta conviction et de ta naïveté de meuf qui a lu quatre livres et compris trois documentaires, tu te dis que c’est une métaphore de la pudeur. Que c’est un renoncement de la superficialité. Tu aimerais y arriver. Un jour. Le jour où tu seras suffisamment forte pour ne pas t’accrocher à ton mascara comme on s’accroche à une bouée de survie. En gros, tu te dis que Le Livre conseille aux femmes d’être assez discrètes et pas trop provocantes. Mais là, en regardant cette pin-up sunnite tu as du mal à ne pas la trouver provocante avec son supplément voile sur tenue ultra-sexy. Un peu comme une caution religieuse qui approuverait n’importe quelle tenue. Si l’habit ne fait pas le voile, visiblement l’habit ferait la bonne musulmane. Et pour le coup, autant tu respectes les convictions quelles qu’elles soient, autant le subterfuge hypocrite de réduire Dieu et ses innombrables qualités à un bout de tissu, tu as vraiment du mal à l’accepter.