Tu ne comprends pas les lundis. Tu ne comprends pas comment le week-end a pu passer si vite. Tu ne comprends pas comment tu as pu dépenser autant d’argent pour te souvenir de si peu de choses. Tu ne comprends pas ces textos que tu reçois de personnes que tu aurais visiblement trouvées formidables mais dont les fautes d’orthographe t’exaspèrent. Et tu ne comprends surtout pas comment tu vas pouvoir tenir éveillée et travailler toute la journée. Non, vraiment, tu as beau essayer, tu ne comprends pas les lundis. Tu aimerais que les semaines démarrent le mardi. Il te faudrait plus de temps entre la fin du week-end et le début de la semaine. Tu trouves ça trop abrupt. Il faudrait ou que tu sortes moins ou que tu te résignes à être vaseuse les lundis. A la vue de ce dilemme, tu vas te résigner. C’est comme ça. Il y a des choses auxquelles tu ne peux rien, que tu ne peux pas changer. Alors tu les acceptes sans trop te plaindre. Sans trop te poser de questions non plus. Parce que tu n’y peux rien justement. Par contre, quand les choses peuvent dépendre de toi, quand ton avis a de l’importance, il est absolument hors de question que tu te contentes d’être fataliste.
Et même si ça te paraît assez lointain, la vie politique te concerne. Bien sûr que ça te dépasse, bien sûr que tu ne comprends sans doute pas tout et peut-être même que tu comprends pas mal de trucs de travers, mais ça a un impact sur ta petite personne et ta petite vie. Et comme on te demande ton avis, tu as bien l’intention de le donner. Et même si ce n’est qu’une voix parmi des millions, tu comptes t’en servir. Tu iras voter. Bien évidemment, tu ne peux que comprendre l’attitude de pas mal de gens autour de toi qui en ont marre des politiques, qui pensent qu’ils se valent tous, que dans tous les cas c’est tarbouche rouge ou rouge tarbouche. Tu ne vas sûrement pas leur en vouloir. La simple idée d’écouter un discours en entier te fait bâiller. Mais bon, c’est important. C’est important d’exercer son droit de vote. C’est essentiel pour la santé de la démocratie et c’est indispensable à ta conscience. Bien sûr, tu pourrais citer des dizaines d’auteurs brillants et leurs phrases très intelligentes. Tu pourrais aussi invoquer de grands principes civiques. Tu pourrais avoir recours à des réflexions très profondes. Mais, au final, la seule chose que tu préfères retenir c’est que chaque voix compte. Ta voix compte. Ce n’est pas rien. Tu vis ici. Tu es d’ici. Ta vie est ici. Et pourtant tu as l’impression que certains voudraient te dire le contraire. C’est que les barbes ont l’air d’avoir poussé à l’intérieur de pas mal de cerveaux. Et tu n’aimes pas vraiment ça. Tu n’es pas d’accord avec pas mal de trucs que tu peux entendre ou lire. Alors quoi, tu devrais te contenter de regarder ce spectacle qui te désole et ne rien dire? Sûrement pas!
Ce pays est autant à toi qu’à n’importe lequel de tes concitoyens, et ce quelle que soit la longueur de sa jupe ou de sa morale. Tu ne représentes pas la majorité? Et alors? Il serait trop facile de considérer que certains n’ont pas le droit de penser sans exercer ton droit à choisir. Tu en as un peu marre de cet usage de la démocratie à pilosité variable. La démocratie ce serait de se plier à la volonté de la majorité, certes. Mais la démocratie ce n’est en aucun cas écraser les minorités. Au contraire. Tu n’as sans doute pas les compétences ni la légitimité pour analyser quoi que ce soit. Mais tu as deux grammes de bon sens. Et tu es convaincue que la tyrannie de la majorité, comme son nom l’indique, c’est de la tyrannie. Et ça n’a rien à voir avec la démocratie. Alors, même si tu ne sais pas encore pour qui tu vas voter, tu es bien décidée à y réfléchir dès demain. Heureusement qu’on ne vote pas le lundi.