Ta vie en l'air. Pour un flirt

Par Fatym Layachi

Il y a quelques jours, tu as été dîner chez Zee, avec sa famille. C’est le genre de dîners que tu aimes bien, parce que généralement il ne s’y passe pas grand-chose de surprenant. Un peu comme dans ta famille, finalement. D’interminables discussions qui t’agacent ou t’attendrissent dans un salon agencé par la même décoratrice italienne. La même mère qui se plaint et le même père qui regarde ailleurs. Une superbe photo de famille. Un couple qui s’ennuie, un homme qui court les jupons comme on chasse les papillons et une femme qui accumule les heures d’aquagym et les bijoux. Tu es dans un environnement totalement familier. Et puis, surtout, tu connais tout le monde. Tout le monde te connaît. Pas besoin de faire semblant d’avoir une vie follement intéressante ni de s’intéresser à celles des autres convives. C’est pratique et confortable.

Tu picores un peu du tagine de pruneaux, et prends quelques bouchées de poulet basquaise qui, en fait, est un poulet beldi avec quelques dés de poivron. Mais la mère de Zee adore l’idée de servir du poulet basquaise. Depuis qu’elle a fait une thalasso à Biarritz, elle dit qu’elle raffole du Pays basque. Ce qu’elle connaît de cette région? Absolument rien. Suffisamment donc pour en parler la bouche pleine. Ce soir-là, il y avait pourtant une nouveauté : un garçon en chemise blanche, le sourire en coin et l’assurance de ceux qui ne cherchent rien à prouver. Suffisamment de critères pour attirer ton attention. Et à en croire ses sourires, l’attraction était bien réciproque. Le garçon parle bien. Il fait mine d’aimer tes livres préférés. Wikipédia a dû l’aider. Alors quand il te demande ton numéro tu le lui donnes et quand il t’écrit un message quelques jours plus tard pour te proposer d’aller boire un verre, tu acceptes. Et te voilà attablée sur cette terrasse face à la mer écoutant de la musique qui est censée te faire croire que la vie est douce. Une liste de cocktails à la main, tu fais semblant de prendre le temps de choisir. Tu joues la carte de la douceur, alors tu commandes un truc fleuri et sucré. Tu regardes ailleurs, tu es entourée de filles qui ont l’air d’avoir plus d’escarpins que de neurones, et tu es prête à parier que leurs placards ne sont pas bien grands. Le garçon, lui, te regarde droit dans les yeux. Il te fait plein de compliments. Tu souris quand il passe sa main dans tes cheveux. Feindre la nonchalance pour mieux maîtriser la séduction. Tu te sens prête à succomber aux doux délices de la flagornerie. Zee t’envoie un whatsapp. C’est vendredi. Il est 21h30, elle n’a pas eu de nouvelles de toi depuis ce matin. Elle se demande ce que tu fais. Tu lui dis que tu bois un verre avec son cousin et rajoutes un petit smiley coquin. Elle essaie de t’appeler, tu ne réponds pas.

Elle t’écrit en majuscules qu’il est marié. Tu as envie de tomber de ta chaise. Tu te sens conne. Tu as envie de lui balancer ton cocktail à la figure. Tu te contentes de reprendre un verre. Après tout, tu as bien raison de te sentir conne : tu l’es. Tu n’avais qu’à pas te laisser embobiner aussi facilement. Tu n’avais qu’à pas accepter d’aller boire un verre avec un inconnu. Mais tu es une fille, alors tu t’es fait berner facilement. C’est toi qui te sens conne alors que c’est lui le salaud. Mais il faudrait croire que la virilité et l’impunité vont de pair. La culpabilité se transmet peut-être de mères en filles. Alors, pour ne plus trop y penser, tu recommandes un verre puis plusieurs. Enfin, il te ramène chez toi dans sa voiture hors de prix. Tu baisses la vitre, le vent balaie tes cheveux. Il se prend pour James Dean. Toi, tu as juste trop bu. Tu as envie de vomir. Tu ne le reverras jamais.