Zakaria Boualem et le bulldozer de Khouribga

Par Réda Allali

Salut à vous, infatigables bâtisseurs du Maroc Moderne. Zakaria Boualem est là pour vous divertir, la tâche est ardue. Cette semaine, tous les puissants de notre planète se sont réunis à Paris pour parler écologie. Oui, ils ont trouvé le temps, dans leurs plannings surchargés, de se déplacer tous ensemble pour faire une belle photo et –personne n’en doute- prendre les décisions cruciales qui devraient nous sauver de l’apocalypse annoncée.

Il est toutefois regrettable qu’ils n’en profitent pas pour régler deux ou trois petits problèmes qui semblent tout aussi aigus, je vous laisse faire la liste tout seuls. C’est que Zakaria Boualem, un peu comme tout le monde, est moyennement mobilisé par cette histoire d’écologie. Il n’a pas l’âme assez grande pour se préoccuper des générations futures, à part la sienne. C’est regrettable, mais c’est comme ça. Collé à l’actualité comme un poulpe à l’écran, angoissé, il traque les bonnes nouvelles pour respecter le contrat moral qu’il a passé avec vous, celui de vous détendre.

La première bonne nouvelle, donc, nous vient de Khouribga. Cette riante cité, connue pour l’intensité de sa vie culturelle et l’extraordinaire palette d’activités qu’elle offre à sa jeunesse, a été le théâtre d’un litige entre les organisateurs d’un festival de rap et la municipalité. Cette dernière a refusé l’autorisation estimant judicieux d’envoyer un bulldozer pour menacer de raser la scène, alors que la wilaya l’autorisait. Les témoins présents ont eu l’occasion d’observer la matérialisation physique de l’amour de nos responsables pour la culture, en l’occurrence un face-à-face saisissant entre un bulldozer et des micros.

Nous rassurons les amoureux du rap: la scène n’a pas été rasée et les concerts ont eu lieu ailleurs, sur un terrain privé. Je vous sens sceptique: où est la bonne nouvelle? Zakaria Boualem vous concède qu’elle ne saute pas aux yeux. Au moment où les esprits se ferment, où les jeunes se tournent vers des idéologies dangereuses, il pourrait sembler qu’un peu de culture ne fasse pas de mal, et si ce n’est pas possible, des divertissements ça serait cool aussi. Histoire de faire baisser la terrible frustration qui plombe cette génération. On pourrait même penser qu’il faille encourager ce type d’initiatives, et proposer à la ville de Khouribga des théâtres, des bibliothèques, des terrains de sport, des piscines, voire des parcs de jeux, le tout à des prix abordables s’il vous plaît.

On pourrait même étendre le raisonnement aux autres villes, on peut raconter ce qu’on veut ici. Mais c’est un raisonnement puéril, on ne réfléchit pas comme ça chez nous. Ce qui doit primer, c’est l’ordre, les autorisations, le respect des procédures, la préservation de l’espace public. Zakaria Boualem se félicite donc de la mobilisation rapide des moyens publics pour faire cesser cette insupportable fawda. Il faut s’attendre à voir surgir un million de bulldozers pour détruire tout ce qui, chez nous, n’est pas autorisé.

Il y a moyen de raser la moitié du pays, soyez-en persuadés, et c’est une estimation basse. Encore une fois, je vous laisse faire la liste tout seuls. Finalement, il est bon de sentir que nous ne ployons pas sous le poids des circonstances, nous savons garder la tête froide et ne pas déroger à nos valeurs ancestrales. L’urgence ne saurait nous dicter des décisions hâtives. Nous sommes un pays rigoureux, retenez-le, et ce n’est pas parce que vous avez l’impression que tout part de travers que nous devrions changer cette formule gagnante. Vive les bulldozers, donc, et merci.