Chers amis, Zakaria Boualem vous salue. Il a passé une semaine particulièrement réjouissante, le bougre. Il y a eu pour commencer cet invraisemblable nouvel épisode des aventures de Loubna Abidar. Son épopée tient tout le pays en haleine. Pour ceux qui ont passé les six derniers mois dans une grotte, rappelons que cette dame s’était illustrée en incarnant une prostituée dans un film interdit au printemps dernier. Notre pays l’avait alors abreuvée d’insultes, dans un accès de convulsions, tout en se ruant sur YouTube pour visionner les extraits de l’œuvre scandaleuse. Pour une fois, ce n’est pas Zakaria Boualem qui accuse ses concitoyens d’hypocrisie, ce sont les statistiques de Google qui s’en chargent. Et donc, cette semaine, coup de théâtre: Loubna Abidar est nominée aux César, catégorie meilleure actrice s’il vous plaît. Aux côtés de… Catherine Deneuve.
Aussitôt, les convulsions ont repris avec une nouvelle violence. Ça ne pouvait être qu’un coup des Français, ces félons! On comprend leur stratégie: à l’affût de tout ce qui peut rabaisser notre dignité, ils ont pistonné cette infâme pécheresse sans vergogne afin d’affaiblir nos valeurs, notre foi, pire, notre stabilité légendaire. Zakaria Boualem a donc lu avec délectation des kilomètres de commentaires écrits par des gens qui n’ont pas vu le film et qui contestent avec véhémence le jugement des 4509 professionnels qui désignent les nominés et qui l’ont vu, eux. C’est une situation magnifique. Il est impossible d’imaginer un scénario plus savoureux que celui que la réalité nous propose. Résultats le 26 février, les amis, ça peut être très drôle. Imaginez un instant que Loubna se pointe à la cérémonie avec un caftan drapeau, le même que celui de Dounia Batma, qu’elle gagne le prix, qu’elle remercie le roi dans un discours émouvant, et qu’elle décroche dans la foulée un rôle dans le prochain Star Wars. Imaginez nos réactions, on pourrait bien finir par couler Facebook sous le poids de nos polémiques. À suivre, donc.
Le second sujet de la semaine nous est offert par un hebdomadaire français du nom du Journal du dimanche, qui a réalisé un sondage extraordinaire. Voici la question: “avez-vous au cours de l’année rencontré des problèmes (insultes, agressions) avec des personnes liées aux groupes suivants…”. Et voici les réponses proposées: “des personnes d’origine maghrébine, des roms, des personnes d’origine musulmane, d’origine juive, catholique, asiatique”… Autrement dit, la question posée aux braves Français était de savoir qui au cours de l’année écoulée les avait le plus emmerdé: les arabes, les roms, les noirs ou les gens normaux. Dans leur grande créativité, les sondeurs ont même proposé deux réponses possibles pour les arabes: ils peuvent être considérés comme “d’origine maghrébine” ou “d’origine musulmane”, sans que l’on comprenne très bien en quoi consiste cette dernière catégorie. Grâce à cette double classification étrange, ils peuvent truster deux des trois premières places. En effet, et sans la moindre surprise, les plus pénibles sont les Maghrébins, les musulmans et les roms.
Il faut sauter une ligne, respirer un grand coup.
Les Français ne vont pas bien. Depuis presque quinze ans, Zakaria Boualem étudie les productions absurdes de ses compatriotes. Il est donc un peu un spécialiste des délires collectifs. Et là, il pose son diagnostic sans trembler: les Français traversent une mauvaise période. Ce racisme décomplexé est un peu inquiétant. Parce qu’on ne parle pas d’une obscure république d’Europe centrale, vaguement fascisante, habituée des progroms et de la chasse aux noirs les dimanches matin. Du tout, les amis. On parle de la France, celle qui nous a habitués aux discours sur l’égalité et la fraternité, qui manipule les concepts humanistes avec jubilation et grandiloquence, et qui se retrouve à demander à ses citoyens lesquels d’entre eux ont les comportements les plus dégueulasses selon leurs faciès. Ils ont lâché les freins, les amis, et ce n’est pas bien joli à voir. Il va aussi falloir suivre cette affaire, il y a moyen de se payer un grand spectacle.
C’est tout, et merci.