Edito. En attendant la pluie

Par Aicha Akalay

Les prévisions macroéconomiques de la banque centrale pour l’année en cours sont tombées comme un couperet. Abdellatif Jouahri annonce une croissance de 1 % pour 2016. Autant dire presque rien. L’économie marocaine est à l’arrêt depuis de longs mois sans qu’aucun responsable n’ait jugé utile de tirer la sonnette d’alarme. Il y a pourtant péril en la demeure. Cela fait en réalité quatre ans que le Maroc stagne sans qu’aucune solution ne soit proposée pour relancer l’activité… et sans attendre la pluie.

 Pourquoi cet attentisme? Les voix qui s’élèvent pour dénoncer le marasme économique sont inaudibles car étouffées par l’avalanche de bonnes nouvelles officielles. Il ne se passe pas une semaine sans que l’on se félicite de telle initiative ou telle autre, projetant le pays dans un horizon radieux. Mohamed Boussaïd vient ainsi de publier une note de conjoncture intitulée “Comportement favorable des activités non agricoles dans un cadre d’équilibre macroéconomique en amélioration”. Du côté de l’industrie, Moulay Hafid Elalamy claironne : “Nous sommes bien au-delà de nos objectifs (création de 500 000 emplois dans l’industrie, ndlr) en termes d’engagement”.

 Ce penchant pour l’autocongratulation révèle une mentalité qui plombe le Maroc depuis trop longtemps. Peu importe la gravité de la situation pourvu que la communication puisse couvrir une réalité trop désagréable. Pourtant, l’urgence de la situation et l’intérêt public imposent aujourd’hui d’éclairer d’une lumière crue la réalité. On ne peut que se féliciter de voir la Constitution élargir les compétences du gouvernement, y compris pour encourager la création de richesse et assurer la répartition des revenus. Mais il y a encore loin de la théorie à l’efficacité économique. Les audaces verbales de Benkirane sont remarquables, son courage politique aussi, mais sa vision économique reste une énigme. Dans le milieu des affaires, son manque d’intérêt pour l’économie n’est pas un secret. Ses ministres, qu’ils soient encartés au PJD ou ailleurs, font preuve au mieux d’une frilosité coupable, au pire d’incompétence. Aucun ne semble avoir pris la mesure de l’urgence économique.

 Le royaume souffre d’un problème de gouvernance économique. Ce problème concerne aussi le Palais. La technicité, l’engagement, la vision et surtout le relais que représentait un conseiller comme Abdelaziz Meziane Belfqih, disparu en 2010, manquent cruellement. En plus d’avoir été l’un des artisans de l’écrasante majorité des réussites du Maroc, comme Tanger-Med, il était l’oreille attentive et le précieux conseiller des ministres sur les questions de croissance et de développement. Ce rôle-là n’est plus rempli aujourd’hui. Or, le Maroc est ce qu’il est : sans impulsion du Palais, peu d’initiatives sont prises. Locomotive souvent, le pouvoir peut se montrer aussi un frein, tant brimer les audacieux paraît être sa deuxième nature. La croissance nécessite des initiatives individuelles, des prises de risque, et surtout de fixer un cap. En attendant, prions pour qu’il pleuve longtemps.