Zakaria Boualem et l'autodéfense

Par Réda Allali

Zakaria Boualem est grognon. Depuis que le Raja a été condamné à jouer à huis clos, sa vie sociale s’est considérablement réduite. Autant il a du mal à suivre les pénibles péripéties de notre glorieuse Botola devant son petit écran, autant il goûte les matchs des tribunes.

Voir ses amis, partager des émotions, écouter les vannes et les analyses débridées des experts des gradins, c’est quelque chose d’important pour lui qui, le reste du temps, se sent très décalé par rapport aux évolutions de notre société. Mais il est puni.

À la vue des abominables violences qui ont eu lieu, il a commencé par accepter cette sanction, il fallait bien faire quelque chose. Mais avec le temps, il se sent le droit de grogner. Parce que, figurez-vous, le Boualem n’a jamais rien cassé, il ne s’est jamais battu, et il ressemble autant à un hooligan qu’à un militant du RNI. Et il n’est pas le seul dans ce cas. Mieux, les spectateurs, dans leur immense majorité, se comportent comme lui. Il a accepté la sanction, oui, parce qu’il pensait qu’elle s’accompagnerait d’un travail plus profond pour sécuriser les tribunes. Aujourd’hui, il redoute que ce huis clos, associé à l’interdiction des ultras, soit la seule chose que le Maroc Moderne ait l’intention de faire pour pacifier notre football. Il est d’ailleurs étonnant de constater que nos fins limiers de la police soient capables de démanteler des cellules dormantes et clandestines tous les trois jours mais qu’ils n’arrivent pas à choper des hurluberlus qui œuvrent à l’air libre, devant des caméras, en prime time et en pleine lumière. Passons et revenons aux sanctions. Le Guercifi, qui a acheté son ticket à l’année et qui a dû fournir une carte nationale à cet effet, est prêt à accepter toutes les mesures de sécurité nécessaires. Ils pourraient lui coller une caméra sous le nez, par exemple. À part se couvrir de ridicule, il ne risquerait rien. Non, il est sommé de rester chez lui, c’est plus facile, mais c’est quand même la négation du football. Qu’aurait-il pu faire, le bougre, pour éviter cette punition ? Monter une milice pour gérer les hooligans ?

Parce que c’est la nouvelle mode chez nous : après l’autogestion, c’est le temps de l’autodéfense. C’est ainsi qu’un brave couple a piégé le caïd de leur région, qui souhaitait monnayer une autorisation de construire par une petite séance érotique et illégitime avec l’intéressée. L’infortuné s’est retrouvé devant le mari, muni d’un hachoir, et de sa femme, qui avait opté pour un téléphone, ils l’ont logiquement filmé en sous-vêtement en multipliant les appels au roi. Outre le plaisir qu’on peut ressentir à contempler un représentant de l’autorité libidineux confondu de la sorte, il est possible de s’interroger sur cette nouvelle tendance, qui veut qu’on règle ses problèmes avec un hachoir, un téléphone et un appel au roi. Imaginez un instant que nos sociétés de recouvrement s’équipent de la sorte pour effectuer leur mission. Ou que le Boualem, toujours avec son hachoir et son téléphone, s’en aille négocier son augmentation avec son directeur. Tout ceci peut très mal tourner, c’est une évidence.

Passons encore une fois, parce qu’il y a encore autre chose. Figurez-vous que les Femen ont débarqué à Beni Mellal pour soutenir le couple homosexuel agressé chez lui. Le Guercifi, qui a pourtant une imagination débridée, n’aurait jamais pensé écrire un jour Femen et Beni Mellal dans la même phrase, nous vivons des moments extraordinaires. Fort heureusement, elles ont été empêchées de se dénuder par nos policiers, qui ont mis une ardeur admirable dans cette périlleuse mission. Il est certes plus facile de se ruer sur une Ukrainienne impudique que sur un m9ar9ab fanatisé. Eux non plus, ils n’auraient jamais pensé, en s’engageant dans la police, devoir un jour ceinturer des blondes poitrine en l’air. C’est officiel, nous sommes en roue libre, lancés à pleine vitesse sur la route de l’édification du Maroc Moderne, et merci.