Édito. Vers un axe Rabat-Riyad-Moscou ?

Par Aicha Akalay

Le Maroc n’est pas l’obligé de l’Occident. Pour ceux qui ne l’avaient pas encore compris, Mohammed VI l’a rappelé, le 20 avril, à l’occasion du premier sommet Maroc-Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Dans la bouche du souverain, cela donne “Le Maroc est libre dans ses décisions et ses choix et n’est la chasse gardée d’aucun pays”. Il faut le reconnaître, cette formule, quoique populiste, est d’une efficacité redoutable auprès de ses destinataires, c’est-à-dire nous les Marocains. En interne, la symbolique est forte : Mohammed VI parle au “nif” des Marocains en réaffirmant que les choix du royaume sont souverains. Pour le roi et sa diplomatie, il n’est plus question d’aspirer au rôle de “premier de la classe” auprès de Paris ou de Washington, ou aux satisfécits de leurs organisations de défense des droits de l’homme et des libertés. Ce que revendique le Maroc, c’est de défendre d’abord ses intérêts, “comme tous les États”, souligne le roi.

Il serait erroné de conclure à un nouveau coup de sang du royaume à travers ce discours, ou à une fanfaronnade inconsidérée. Le changement de position du Maroc est profond et a déjà été amorcé lors de précédentes adresses. À la tribune de l’ONU, le 25 septembre 2014, Abdelilah Benkirane, prêtant sa voix au souverain, ne disait guère autre chose : “Ces États [occidentaux, ndlr] n’ont pas le droit d’exiger des pays du Sud un changement radical et rapide selon un schéma étranger à leurs cultures, leurs principes et leurs atouts propres ; comme si le développement ne pouvait se réaliser qu’à l’aune d’un modèle unique : le modèle occidental.”
Le Maroc n’a pas de tradition anti-impérialiste et ne l’aura probablement jamais. Mais il assume désormais, par la voix du chef de l’État, un discours ouvertement critique de l’Occident. Pour être entendu, ce propos doit apporter une réponse aux troubles du monde. Il lui faut désigner des adversaires, quitte à simplifier. D’un côté, les “Occidentaux” au “double discours” et animés d’abord par leurs propres intérêts, de l’autre, un front – ici le Maroc et ses alliés du Golfe – qui refuse de se laisser conduire vers le “chaos”. Cela permet de mobiliser des populations déjà sensibles aux antiennes du complot occidental. Dans un front élargi, le Maroc se voit aux côtés des pays du Golfe, de la Jordanie et se cherche de nouveaux appuis auprès de la Russie et de la Chine, deux membres permanents du Conseil de sécurité.
En forçant le trait et en dénonçant un “complot” et des “coups de poignard dans le dos”, Mohammed VI arrive habilement à tisser un lien entre ce discours de vérité à l’adresse des Arabes et le Sahara marocain. Finalement, dit-il aux chefs d’État du Golfe réunis, ceux qui menacent la stabilité et la sécurité de vos pays, animés uniquement par la volonté de “faire main basse sur les ressources”, sont les mêmes qui s’en prennent à votre “flanc occidental”, le Maroc. Et comment s’y prennent-ils ? En s’attaquant à l’intégrité territoriale du Maroc, répond le roi. Mais attention à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Que le Maroc rejette les donneurs de leçons, soit. Mais gardons le cap pour bâtir un Maroc démocratique. Il ne s’agit pas de plaire aux Occidentaux, mais de notre intérêt. National.