Éditorial. Le maâkoul ne suffit pas

Par Aicha Akalay

On ne prête pas assez attention aux mots de ceux qui nous gouvernent. Rien n’est pourtant plus simple avec le PJD. Nombreuses, les prises de parole de ses dirigeants sont accessibles à tous. Et plus qu’un éventuel agenda caché que certains prêtent aux islamistes marocains, elles éclairent sur la vision du monde de nos barbus et leurs priorités politiques. Ministre d’État, Abdellah Baha était, jusqu’à sa disparition accidentelle en décembre 2014, le bras droit de Benkirane. Il était à la fois ami et consigliere. Dans une vidéo officielle*, cet idéologue résumait le contrat qui lie l’actuel gouvernement à ses électeurs. Selon lui, les Marocains attendent de leurs élus d’abord une fidélité au référentiel islamique, ensuite le maâkoul (probité), et enfin de l’efficacité. Dans l’ordre. Pour enfoncer le clou, Baha ajoutait que les électeurs ne pardonneraient jamais que le PJD au pouvoir renonce à son identité idéologique ni au fameux maâkoul, mais qu’en revanche ils “peuvent excuser la faiblesse des réalisations”.

Même si elle paraît s’appuyer sur le bon sens, pareille affirmation – on n’ose parler de doctrine – doit être vigoureusement démontée et combattue. Citoyens exigeants, nous ne pouvons nous satisfaire d’une incompétence aussi crânement assumée. L’indigence du gouvernement islamiste est coupable, tant Benkirane paraît, dans les discours et dans les résultats, en décalage avec l’urgence économique. Pour sa défense, le Chef du gouvernement et son porte-parole soulignent les réalisations sociales (augmentation du salaire minimum, pensions pour les veuves et les orphelins). Ces justifications doivent être prises pour ce qu’elles sont : un cache-misère de la panne de programme et d’idées. Devant le parlement, le 4 mai, Driss Jettou a encore exposé, de manière didactique, les urgences (lire page 20). Ancien Premier ministre (2002-2007), l’actuel président de la Cour des comptes dresse le tableau d’une économie marocaine à l’arrêt : les PME n’investissent plus, l’État est endetté et les réformes sont inefficaces. Même l’amélioration des finances publiques est le fruit d’une conjoncture internationale favorable.

A la nomination du gouvernement, en janvier 2012, Abdelilah Benkirane semblait pourtant conscient de ses lacunes en termes d’expertise économique. Un cabinet de conseil avait été mandaté pour lui constituer une “dream team”, recrutée sur des critères de compétences. Cette politique d’ouverture à la technocratie n’a malheureusement pas été suivie. Le Chef du gouvernement a choisi de s’entourer de “frères” et de cadres proches de son parti. Cette préférence accordée à la fidélité et au conformisme a, de plus, tendu les relations entre les ministres et leurs administrations, qui se sont senties menacées. Le blocage n’a été levé en partie qu’après l’entrée du RNI au gouvernement, en octobre 2013. De fait, Benkirane a fini par sous-traiter sa politique économique au parti de Salaheddine Mezouar. Benkirane n’est pas Keynes, mais les Marocains peuvent le blâmer de ne pas avoir agi. Son cabinet et ses ministres n’ont pas mené de politique économique digne de ce nom. Parions que, à l’approche des législatives, Benkirane mettra en avant sa réforme de la Caisse de compensation. Plutôt mince comme bilan.

*Vidéo officielle du PJD datée du 21 juillet 2013.