Zakaria Boualem écrit au président de la France (que Dieu l’assiste)

Par Réda Allali

À l’attention du Président de la France (que Dieu l’assiste)

Monsieur,

Je me présente, je suis Zakaria Boualem, une tentative de classe moyenne avortée dans le plus beau pays du monde, et je m’adresse à vous aujourd’hui (pardonnez mon audace), parce que j’ai des choses à vous dire de la plus haute importance. Tout d’abord, il faut que je vous remercie, en tant que musulman, pour votre très beau geste. Organiser l’Euro pendant le ramadan, voici une noble initiative, une sorte de main tendue aux jeûneurs qui, soyez-en certain, est grandement appréciée ici. Nous connaissons la valeur d’un bon Islande-Hongrie joué vers 15 heures, au rythme très lent et suivi en hypoglycémie depuis un seddari mou, avec des joueurs inconnus qui s’agitent mollement sur l’écran comme des poissons dans un aquarium. Puis, dans la foulée, un brave Ukraine-Albanie, voué au zéro-zéro pour parfaire sa sieste. Grâce à vous, ce ramadan sera pacifique, c’est une très bonne nouvelle. Nous devons malheureusement aborder à présent un sujet moins agréable. Vous n’êtes pas sans savoir qu’une de vos chaînes de télévision a diffusé un reportage hostile à notre glorieux royaume la semaine dernière. Je vous demande de ne plus recommencer. Je vous le demande gentiment, comme à un ami, une sorte de service entre voisins. Je n’ai pas vu le reportage, mais les réactions qu’il a suscitées me poussent à vous demander, encore une fois, de ne plus recommencer. Ça a été terrible. Nous avons basculé collectivement dans une sorte de longue hystérie qui a duré plusieurs semaines. Il est d’ailleurs bien possible que ce soit la première fois dans l’histoire de France 3 que cette vénérable institution ait provoqué une quelconque passion. Cette masse de gesticulations, de protestations, d’accusations… il y avait de quoi faire péter Internet, je vous jure ! Pendant des semaines, on a construit une montagne avant de l’accuser d’avoir accouché d’une souris. Même ceux qui s’en foutent ont estimé nécessaire de nous pondre une douzaine de statuts Facebook pour nous expliquer qu’ils s’en foutent, c’était assez spectaculaire. Je vous le répète, encore une fois, je n’ai pas vu le reportage, mais je nous ai vu, nous, flipper collectivement devant un simple objet audiovisuel. Sortir les drapeaux, lever les mentons et hurler à la félonie tout en donnant des leçons de journalisme à vos employés. Il faut dire que les Marocains, formés à la rigueur journalistique, à l’art du débat contradictoire et à la neutralité de ton par nos brillantes chaînes nationales, ont bien remarqué que votre affaire était louche, que vous n’aviez pas travaillé correctement. D’où ce soulèvement unanime, car, je vous le répète, nous avons flippé. Et c’est bien le fait de flipper qui est flippant, quand on y réfléchit un peu.

Donc, s’il vous plaît, ordonnez à vos services d’arrêter ce genre de production. Personne n’a rien à y gagner, croyez-moi. Il faut que je vous précise que nous avons multiplié les batailles ces derniers temps. On a été attaqués par la Suède, par Ban Ki-moon, en plus d’être jalousés par nos voisins (eux, c’est une tâche de fond), le tout est assez épuisant. J’ai l’impression d’avoir passé l’année à regarder les gens s’insurger. Du coup, si c’est pour avoir une nouvelle croisade contre votre pays, je me dis blach, on peut peut-être l’éviter et rester un peu tranquille. Regarder l’Euro, écouter ses os, retrouver un peu de dignité, passer un bon ramadan, sans levée de boucliers patriotique. Parce que la seule idée de se taper une nouvelle campagne de défense de l’orgueil national en plein mois sacré est effrayante. Imaginez un peu le niveau de nerfs que nous pourrions atteindre, en cumulant les effets sévères du jeûne, du patriotisme et de la susceptibilité. C’est presque dangereux, en fait, il y a moyen de déclencher une guerre ou deux.

D’où cette lettre, et ma demande. Si vous pouviez la transmettre à vos services, et merci.