Éditorial. 17 ans et un bilan

Par Aicha Akalay

À la question de savoir si les dix-sept années du règne de Mohammed VI ont comblé toutes les attentes, la réponse ne peut être que nuancée. Bien sûr, il ne faudra pas compter sur les intellectuels de salon, ni sur les médias biberonnés à la publicité de connivence, pour se livrer à un exercice de bilan honnête, mais ô combien nécessaire. Les adeptes de la propagande décatie sont encore trop nombreux, et la peur d’indisposer le sérail les tétanise. Pourtant, la transition démocratique qu’ils vantent à tout bout de champ impose une introspection lucide.

D’abord l’évidence : il fait tellement “mieux vivre” dans le Maroc de Mohammed VI que dans celui de son père. Durant les dix premières années de règne, le roi a dessiné l’esquisse d’un modèle de développement pour le pays. Il s’agissait de lancer une politique de grands travaux, d’offrir aux Marocains des infrastructures modernes, d’attirer des investisseurs, d’aider les secteurs-clés de l’économie avec d’ambitieux plans d’émergence. L’impulsion donnée par Mohammed VI a été bénéfique. Aujourd’hui, ce modèle s’essouffle – la croissance économique s’est affaissée et plafonne à des niveaux très faibles pour un pays en voie de développement – et il faut redéfinir une doctrine économique.

Mais le principal défi de l’ère Mohammed VI, qui aurait dû être de faire émerger des citoyens libres, est incontestablement son plus grand échec. D’abord, ces citoyens ne peuvent exister sans l’accès à une éducation de qualité. Et ce chantier n’est toujours pas celui du règne. Les maux qui assaillent l’éducation nationale sont dénoncés à chaque discours, des réformes dites “de la dernière chance” s’accumulent, mais imaginer qu’un gouvernement inversera la courbe de la médiocrité de ce secteur c’est se leurrer. Seule la volonté royale peut impulser un changement, qui prendrait plusieurs années d’investissement constant. Et cette réforme est la plus urgente de toutes, car l’éducation joue un rôle essentiel “pour rendre une personne capable de goûter la culture de sa société et d’y jouer un rôle, et donner à chaque individu l’assurance de sa propre valeur.” *

À la veille d’élections législatives à haut risque, il est admis que les islamistes ont capté l’esprit des couches populaires, mais quelle alternative la monarchie a-t-elle encouragée? Aucune. Certainement pas un parti téléguidé et à l’accouchement suspect. L’autre levier démocratique qui aide à façonner une société sont les médias. Or, nos chaînes nationales produisent en masse un mix affligeant de conservatisme et de médiocrité. Le pôle audiovisuel public ne remplit pas son rôle d’instruire et d’éclairer les choix des Marocains. Quant à la presse écrite, où la critique et l’hétérogénéité des points de vue ne sont pas encouragées, elle agonise.

Trop peu d’efforts sont consentis pour permettre aux Marocains d’exercer pleinement leur citoyenneté. Dès lors, il est parfaitement légitime de se demander si le pouvoir, en omettant ces chantiers, ne trahit pas sa peur du changement démocratique. Un citoyen éduqué, ouvert sur le monde, critique et conscient de ses droits, est exigeant vis-à-vis de ses dirigeants. La monarchie le sait. Mais elle ne peut ignorer non plus que, aujourd’hui plus que jamais, sa légitimité n’est pas questionnée. Peu de chefs d’État ont pu jouir d’une affection aussi sincère et importante que celle qu’ont les Marocains pour Mohammed VI. Reste à relever le challenge démocratique.

 

*John Rawls, Théorie de la justice.