Zakaria Boualem à la frontière

Par Réda Allali

Salut à vous, les amis, c’est un Zakaria Boualem en short qui vous accueille cette semaine sur sa plage privée. Détendu, souple sur ses appuis, notre homme traverse une bonne période (c’est suffisamment rare pour être noté).

Il se connecte avec parcimonie sur les réseaux sociaux, appliquant les principes autruchiens édictés la semaine dernière, telle est la raison de son humeur guillerette. Il a toutefois dû s’y mettre cette semaine, afin d’assurer sa mission de directeur de la commission penchée de contrôle de l’avancée des travaux de construction du Maroc Moderne. Il va falloir songer à trouver un nom abrégé pour cet organisme, la phrase précédente m’a épuisé. Il s’est donc connecté, le bougre, et il a découvert les Marocains s’écharpant au sujet d’une sombre histoire de terrains accordés à de grands khouddam addawla, que Dieu les assiste les pauvres. Il a été surpris de voir les Marocains surpris, puisqu’il n’y a rien de surprenant dans cette affaire.

Depuis des années, nous savons que les privilèges ne sont pas un dysfonctionnement du système, mais la base sur laquelle il est construit. Oui, il y a au Maroc une zone VIP, c’est incontestable, mais la plupart d’entre nous n’ont pas de problème avec ce concept, ils veulent juste faire partie de cette zone. La course nationale aux grimate en est la plus éclatante manifestation. Voilà. Zakaria Boualem a également découvert avec étonnement une vidéo de notre ministre des Affaires étrangères festoyant dans une discothèque, filmé par un internaute indigné qui y faisait probablement exactement la même chose. Il faudrait expliquer au Guercifi où est le problème, il est un peu perdu le pauvre. Tout se mélange dans le grand délire collectif du commentaire permanent et de l’indignation perpétuelle. Oublions tout cela et concentrons-nous s’il vous plaît sur une vraie belle histoire. Elle se passe au poste-frontière de Sebta, où un ami du Boualem, que nous nommerons comme d’habitude Abdoulqoudous Boufous, s’apprête à traverser la frontière pour se rendre à la feria de cette enclave occupée. Pour ceux qui ne connaissent pas le concept, il s’agit d’une manifestation ludique où les locaux montent sur des manèges, multiplient les jeux divers, boivent beaucoup et s’habillent très peu. Il embarque donc dans sa voiture avec sa fille et son amie, adolescentes toutes les deux, pour festoyer dignement.

Arrivés au poste-frontière, on lui explique qu’il ne peut quitter le territoire national avec une personne mineure qui n’est pas de sa famille : une procuration des parents est nécessaire. Dans la voiture, c’est le drame : les deux jeunes filles voient s’éloigner la feria et ses manèges, elles sont au bord du désespoir. Mais nous avons trop souvent critiqué notre police pour ne pas rapporter avec délectation l’acte de bravoure de ce héros des frontières. Il aurait pu s’en tenir là, et la soirée aurait été foutue. Mais, n’écoutant que son humanité, il a demandé à Abdoulqoudous de le suivre dans un autre bureau, puis il a farfouillé dans un ordinateur. Il a vérifié le nom des parents et demandé à la jeune fille d’appeler son père pour qu’il s’entretienne avec lui. Cette conversation, et l’extraordinaire dose de sincérité dans laquelle baignait le tout, ont convaincu le policier que tout allait bien. Il a donc soudain laissé passer tout le monde en précisant que la prochaine fois, il faudrait un papier. Lorsqu’il a entendu cette histoire, Zakaria Boualem a été ému, il a senti une police au service du citoyen, intelligente et humaine, sachant appliquer les procédures sans être bornée, dévouée à la recherche de la vérité. Étourdi par cette découverte, il s’est aussitôt endormi dans un sommeil bienheureux. Il n’était que dix-neuf heures, mais il avait peur qu’une petite mesquinerie ne vienne gâcher ce tableau idyllique. Il ne reste plus qu’à cloner ce policier, et la construction du Maroc Moderne ira plus vite. Et merci.