Ta vie en l'air - Les intérêts avant les valeurs

Par Fatym Layachi

La COP est finie. L’excitation est retombée. La vie normale peut reprendre son cours. Tu vas de fête en fête, de bras en bras et de sourires en désillusions. Tu ne cherches rien. Tu attends que la vie vienne à toi, spectatrice passive de ta propre perte. Mais de temps en temps, tu lis. Tu lis autre chose qu’un statut Facebook ou un commentaire Instagram. Tu lis tes mails qui résument l’actualité, tu lis un article ou deux, tu essayes de t’intéresser à ce qu’il se passe autour de toi, en dehors de ta bulle. Les nouvelles s’accumulent et se ressemblent tristement : des explosions, des morts, des monstres qui prennent le pouvoir, des guerres qui taisent leurs noms et l’horreur qui semble s’abattre sur ce monde devenu fou.

Et puis, presque tous les jours, des cellules démantelées, des attentats déjoués aux quatre coins du pays et ailleurs aussi. Et à chaque fois, cette angoisse qui te fait flipper : “On a échappé au pire”. Mais jusqu’à quand on va remercier le Ciel d’y avoir échappé ? Est-ce donc ça le monde que tu laisseras à tes gosses ? Un monde où tu as peur tous les jours ? Un monde qui peut exploser tous les jours ? Parce que, finalement, c’est tous les jours que des monstres veulent tuer le temps, au premier degré. Ils veulent tuer la vie. Ce qui te fait le plus flipper c’est que ces monstres sont souvent encore des gamins. Des gamins à qui des croyances mortifères ont grignoté la cervelle, mais des gamins malgré tout. Pour la plupart, ils sont plus jeunes que toi. Ça pourrait être ton petit frère, ton petit cousin ou le neveu de ta voisine. Ça pourrait être n’importe qui. Tu n’arrives pas vraiment à comprendre pourquoi, mais il faut bien admettre que l’idéologie de l’horreur sait attirer de nouveaux disciples et les faire sombrer. Mais en face, on fait quoi pour les retenir dans la vie ces pauvres gamins paumés ? On leur offre quoi comme espoir, comme raisonnement, comme lumière ? Et puis surtout, on fait quoi pour combattre cet État certes fantôme, mais puissant et effrayant ? Toi, tu trouves le monde arabo-musulman assez mollasson quant à la condamnation de l’horreur. C’est quand même nous les premières victimes ! C’est en notre nom qu’ils agissent ! Du coup, tu restes convaincue que c’est à nous, de ce côté de la Méditerranée, de les combattre. Parce que c’est bien joli de dénoncer les amalgames, mais ce qui serait mieux, ce serait de ne pas fabriquer le terreau où ils se créent ces fameux amalgames. C’est facile de dire “l’islam ce n’est pas ça”, mais concrètement, est-ce qu’on explique ce que c’est que l’islam ?

À part se contenter de se gargariser avec le champ lexical de la tolérance, on propose quoi ? Toi, tu as un raisonnement peut-être un peu simpliste, mais tu aimerais comprendre pourquoi on ne l’attaque pas frontalement cet État islamique. Tu te souviens que dans les années 1980, le roi défunt avait affirmé : “Si Khomeiny est musulman, alors je ne le suis pas.” Tu trouves ça puissant et clair. Tu aimerais qu’un chef d’État arabe ait le courage aujourd’hui de dire la même chose d’Al Baghdadi, qui s’est tout de même autoproclamé commandeur des croyants. Autre époque, autres enjeux ? Tu ne comprends sans doute pas tout, mais tu te dis qu’il doit y avoir des intérêts plus grands que les valeurs. Et c’est bien dommage parce qu’au final si ce n’est pas de valeur dont il s’agit, on risque de finir spectateur passif de la destruction de notre civilisation.