Fatym Layachi - Attirantes vitrines

Par Fatym Layachi

Tu as noté tes prochains rendez-vous sur ton nouvel agenda, tu as mangé de la galette, tu t’es inscrite dans un nouveau cours de pilates. Pas de doute, l’année a bel et bien commencé. Et aujourd’hui, Zee te propose d’aller faire les soldes. Dépenser encore plus d’argent que d’habitude juste parce qu’il y a des réductions est une perspective qui te paraît presque logique et qui t’enchante, surtout. Zee passe te prendre et, sans même vous concerter, vous savez dans quelles boutiques vous allez aller. Il y a beau avoir des dizaines de magasins, tu vas toujours dans les mêmes endroits. La ville a beau être immense, tu fais ton shopping exclusivement dans un triangle de trois rues où tu connais toutes les enseignes, toutes tenues par des copines à toi d’ailleurs. C’est un peu comme pour les restos finalement. En arrivant, tu croises une copine de ta mère. C’était prévisible.

De toute façon, où que tu vas tu croises forcément quelqu’un que tu connais. D’ailleurs tu ne vas que dans des endroits qui te sont recommandés par tes connaissances. L’aventure et la découverte ne sont pas exactement tes activités favorites. Alors, tu te retrouves là, dans cette boutique parfaitement décorée, entre design épuré et esthétique douillette, au beau milieu de robes en soldes et de chaussures qui te font de l’œil. Une jolie odeur de figue embaume l’air. C’est fou comme les bougies parfumées te mettent immédiatement à l’aise. Tu fais la bise à la vendeuse. Elle est ravie de vous voir, ton carnet de chèques et toi. Et puis la familiarité, toi, ça te rassure toujours. Tu dépenses en milieu fermé, ça te donne presque bonne conscience. La copine de ta mère a besoin d’une robe longue. Elle est invitée à une soirée. Elle se promène entre les portants, regarde les tenues accrochées sur les cintres, en prend quelques-unes sur son bras. Mais avant toute chose, elle a surtout besoin de savoir qui a acheté quoi. Il ne faudrait quand même pas qu’elle se retrouve habillée de la même manière qu’une autre ! Sa réputation ne s’en remettrait pas. La vendeuse connaît bien évidemment tous ses petits jeux mondains. Elle rassure sa cliente : les autres robes du même modèle qui lui a plu ont été vendues à des femmes qu’elle ne fréquente pas. C’est tout de même impressionnant cette maîtrise. C’est à se demander si, ici, pour bosser dans une boutique, il ne faut pas rajouter à son C.V : “Maîtrise du logiciel de trombinoscope social”.

Zee essaye une robe. Elle ne lui va pas. Et alors ? Elle est suffisamment chère et a suffisamment été vue dans les magazines pour que Zee décide de l’acheter. Ici de toute façon peu importe si ça te va ou pas, si tu as les moyens de t’acheter LA robe hors de prix, alors fais-le. Tu ne seras pas jugée sur ton élégance, mais sur l’affirmation de ta richesse. Dans le plus beau pays du monde, c’est souvent comme ça. On est bien loin du “vivons heureux, vivons cachés”. Ici c’est plutôt “soyons riche — ou du moins ayons l’air riche — et montrons-le !” On n’est jamais trop siglé dans cette contrée. Ce n’est que de l’apparence ? Et alors ? Il n’y a que ça qui semble compter. Tu essayes une tunique dans la cabine d’essayage. Et la première chose que tu fais c’est une photo de toi dans le miroir. La tête légèrement penchée sur le côté, le bon filtre Instagram, tu es prête à balancer ta photo sur les réseaux sociaux. Avant de profiter de quoi que ce soit, il faut le partager avec ses amis virtuels. Le monde est quand même devenu dingue. Et tu l’es encore plus de le suivre. Tu finis par t’acheter deux nouvelles tenues et une sublime paire d’escarpins. Il ne reste plus qu’à trouver une occasion de les mettre pour les montrer.