Fatym Layachi - Jeunesse argentée

Par Fatym Layachi

Ce soir, tu n’as rien de prévu et rien envie de faire. Tu es plantée devant la télé à regarder les épisodes d’une série qui te ferait presque oublier que tu es avachie sur ton canapé. Un plat de pâtes pas franchement al dente est en train de refroidir sur la table. Tes cheveux sont en pagaille et tu t’en fous complètement. Tu n’as envie de rien. Forcément, Zee a trouvé ça étrange que tu n’acceptes aucune de ses propositions d’apéro, vernissage ou dîner. Non, vraiment, pas ce soir. Demain peut-être. Hier, tu aurais pu. Mais ce soir tu n’as envie de rien. Tu vas te chercher un coca light dans le réfrigérateur et quand tu reviens, tu as quatre appels en absence de Zee et trois notifications Whatsapp. Tu n’as même pas le temps de lire ce qu’elle t’a écrit que ton téléphone se met à sonner. Elle te rappelle.

“Bon allez bouge-toi ! On va boire un verre chez mon petit cousin. Ses parents sont en voyage. Ça va être drôle de voir des ados faire la fête”. Tu n’as aucune envie de te changer les idées. Tu as la flemme de t’habiller. Tu lui dis de laisser tomber ce plan qui a l’air foireux en plus. Tu n’as pas vraiment le temps d’argumenter. On sonne à ta porte, c’est elle. Elle est surexcitée. Tu as un peu de mal à comprendre comment la perspective de passer une soirée avec des gamins de 18 ans avec un humour qui te dépasse complètement peut la mettre en joie à ce point, mais elle finit par t’avoir à l’usure. Tu finis par enfiler un jean en bougonnant. Et vous voilà parties ! Vous débarquez donc dans ce posage. C’est exactement comme tu l’imaginais et le craignais : des ados qui se prennent pour des adultes en faisant semblant de mériter cette immense baraque qu’ils pensent posséder le temps d’un week-end sans les parents. Tu te sers un verre de vin un peu tiède et te sens tout à coup vieille et conne. Ils sont une quinzaine dans un salon trop éclairé, les filles sont sapées comme si elles allaient au Festival de Cannes, les mecs puent la frime et le parfum trop ambré. Tu trouves leur attitude un peu surréaliste. Bien sûr qu’à 19 ans tu étais complètement paumée, absolument inconsciente et pas du tout sérieuse. Tu étais pourrie gâtée et capricieuse. Mais tu as l’impression que tu avais moins de pouvoir d’achat. Et comme ici tout s’achète, tu avais moins de pouvoir tout court. Tu essaies de prendre part à une des conversations.

Tu te fais dévisager par une meuf qui hallucine qu’à ton âge tu ne sois pas encore mariée. Elle estime que si elle, à 27 ans, elle n’a pas une bague au doigt, elle le vivra hyper mal. Ça a le mérite d’être clair. Elle n’a aucune idée de ce qu’elle va foutre de sa vie, mais sait exactement qui elle veut épouser. Elle ne veut pas d’un héritier. “Un héritage, ça finit par se terminer ! Je veux un mec qui se lève tous les matins et qui ramène du cash tous les jours”. Sa pote, absolument pas choquée par ses propos, lui dit qu’elle a deux mecs à lui présenter. Simple, clair et efficace donc. C’est tellement honnête que ça en devient hallucinant. Cette jolie bande, qui semble totalement ignorer dans quel pays elle vit, décide d’organiser un week-end. Tu les entends parler de louer des maisons avec personnel en bord de mer, d’organiser un bivouac dans le désert avec vol en montgolfière ou éventuellement de louer un bateau sur un lac. Ils hésitent. Et puis l’été arrive. Il faut penser à choisir une destination pour les grandes vacances. Parce que là encore, ça joue aux grands, mais ça veut un emploi du temps de CE2. Et sinon avec quel fric ils vont payer tout ça ? Et à part des projets de vacances, ont-ils d’autres projets ? Ont-ils prévu de bosser un jour ? Autant de questions qu’ils ne se posent visiblement pas. Tu regrettes ton plat de pâtes trop cuites.